[Chansons pour le Fougna] Nina Simone

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By Christophe DUPREZ

Pourquoi le titre de cette nouvelle chronique… et accessoirement quel est son propos ? Et bien, tout est histoire de famille ! En plus du clin d’œil à Tonton Georges, son but est en effet d’avancer – ou plutôt de reculer – le curseur de la culture musicale du rédacteur en chef de ce site, dont le très équivoque « Fougna » a été un des surnoms (vous lui demanderez pourquoi…). Le dit curseur ayant du mou dans le pixel avant 1985 et l’achat de sa première cassette, Hunting High and Low du très sous-estimé A-ha… Car oui, min tchô père – ce vocable quelque peu familier s’adresse exceptionnellement en aparté à mon frère et non à toi, cher et respecté lecteur – il y avait déjà de la bonne musique populaire avant « Take on me » et « The sun always shines on TV » ! L’occasion de (re)découvrir ces personnalités aussi flamboyantes qu’attachantes, ainsi que leurs plus grands tubes… et accessoirement de s’intéresser à des titres moins connus mais tout aussi émouvants.

Pour ce premier numéro, honneur à une icône de la musique afro-américaine : en voiture… Simone !

crédit : Hulton Archives / Getty Images

Quand Simone s’ignorait

Sixième enfant d’une fratrie de huit, Eunice Kathleen Waymon voit le jour le 21 février 1933 à Tryon, en Caroline du Nord, dans une famille modeste, marquée par la récente crise de 29. Sa mère est alternativement prédicatrice méthodiste et femme de ménage, son père barbier, teinturier, chauffeur de camion… mais perpétuellement musicien dans l’âme : il est surnommé « le siffleur » en hommage à sa capacité à produire par ce moyen deux sons en même temps !

A défaut de brasser du vent, la petite Eunice hérite des goûts de son papa. Elle commence à jouer du piano dès son plus jeune âge et intègre la chorale de la paroisse. Elle donne son premier concert en tant que pianiste à 12 ans. Se déroule à cette occasion un évènement qui sera déterminant dans ses futurs combats : les organisateurs demandent en effet à ses parents, qui avaient pris place au premier rang, de se déplacer au fond de la salle pour faire place à des spectateurs blancs. L’enfant refuse alors de jouer jusqu’à ce qu’ils aient repris leurs sièges initiaux.

Elle est remarquée par la patronne de sa mère, une certaine Mrs Miller, qui crée spécialement pour elle, avec le concours de voisins, un fonds qui lui permet de poursuivre ses études musicales. C’est alors qu’elle fait la connaissance de Muriel Massinovitch, surnommée « Miss Mazzy » et qu’elle appellera elle-même « ma mère blanche ». Laquelle l’ouvre à un tout nouveau répertoire, en particulier classique. A 12 ans donc, elle intègre le lycée Allen, un pensionnat pour enfants noirs surdoués, dont elle sort major en 1950. Grâce au support financier de Miss Mazzy et d’autres mécènes, elle est la seule élève noire à intégrer la célèbre Juliard School qui prépare au concours d’entrée au prestigieux Curtis Institute of Music de Philadelphie en vue de réaliser son rêve : devenir la première pianiste classique noire des USA. Malheureusement, elle est recalée, potentiellement en raison de sa couleur de peau…

Désirant retenter sa chance au concours, elle s’installe à Philadelphie et, pour payer ses cours, travaille comme assistante d’un photographe, accompagnatrice et professeur de piano. Dans cette optique, elle devient également en 1954 pianiste-chanteuse de jazz et de blues au Midtown Bar & Grill d’Atlantic City sous le pseudonyme de Nina Simone. Un hommage à son idole, Simone Signoret, « Nina », petite fille en espagnol, étant un surnom que lui avait donné un petit ami de l’époque.


Les sentiers de la gloire

Sa réputation grandit… et ses revenus avec. Tant et si bien qu’elle finit par avouer à ses parents l’origine de l’argent qu’elle leur envoie chaque mois… À défaut de remerciements, cela lui vaut une rupture avec sa mère qui considère le jazz et le blues comme des « musiques du diable ». Elle fait alors une rencontre déterminante en la personne de Jerry Fields, un agent artistique qui lui décroche des contrats dans les plus grands clubs new-yorkais. Lors de l’une de ces prestations, elle fait connaissance du guitariste Alvin Schackman, avec qui elle signe ensuite sur différents labels.

En 1957, elle sort son premier album, Little Girl Blue, qui rencontre un grand succès. Y figure notamment la chanson « I Loves You, Porgy » qui sera sa première… et dernière entrée au prestigieux Billboard américain, top 40 de l’époque. Elle ne tirera malheureusement aucun avantage financier de ce disque au succès phénoménal, en ayant vendu les droits pour 3 000 $… Durant les quinze ans qui suivront, elle sortira au moins un album par an. Après avoir été mariée brièvement à un client blanc d’un bar d’Atlantic City, elle épouse en 1961 un détective de la police de New York, Andrew Stroud, qui deviendra son manager et dont elle a une fille, Lisa Celeste, l’année suivante.


Simone veille

Elle se produit en juin 1963 au bénéfice de la National Association for the Advancement of Colored People et chante en août dans le stade d’une université noire d’Alabama à l’occasion de ce qui est considéré comme le premier concert multiracial de cet État.

En 1964, elle signe chez Philips et à cette occasion, outre sa célèbre reprise de « Don’t Let Me Be Misunderstood », opère un virage dans le contenu de ses enregistrements. Alors que jusqu’à présent, elle incluait dans ses albums des chansons qui faisaient allusion à ses origines afro-américaines, comme les morceaux « Brown Baby » et « Zungo », dès le premier disque de son nouveau label, Nina Simone In Concert, elle aborde ouvertement l’inégalité raciale avec notamment « Mississippi Goddam », réponse à l’assassinat du militant Medgar Evers et à un attentat dans une église de Birmingham en Alabama ayant tué quatre enfants noirs. La chanson, parue également en single, est boycottée dans certains États du Sud. Elle reprend en 1965 le sublime « Strange Fruit » de Billie Holiday, sur le lynchage d’hommes noirs dans le Sud.

Elle joue et prend la parole lors de nombreuses réunions publiques sur les droits civils. Contrairement au pacifiste Martin Luther King, elle soutient la révolution par la violence. Ce qui ne l’empêchera pas d’inclure dans l’album Nuff Said des chansons enregistrées en public le 7 avril 1968 à New York, trois jours après l’assassinat du pasteur, de lui dédier le spectacle et de chanter « Why? (The King of Love Is Dead) » à l’annonce de son décès. Si ses titres figurent rarement en haut des classements, elle est alors à l’apogée de sa carrière et ses concerts font salle comble. Mais après cela, Nina s’immole…


Une étoile bipolaire

Exploitée par son mari manager, considérée comme capricieuse et ingérable, Nina Simone s’exile dans les années 70 à La Barbade et au Liberia. En 1978, elle est arrêtée puis relâchée pour avoir refusé de payer ses impôts de 1970 à 1973 en protestation contre l’engagement des USA dans la guerre du Viêtnam. Le jazz et le blues sont alors passés de mode et elle entame une série de voyages en Suisse, en Grande-Bretagne, en Hollande, en Belgique et en France.

De retour aux États-Unis, elle continue à enregistrer et sort, de 1978 à 1993, sept nouveaux albums. En 1986, elle est hospitalisée et diagnostiquée bipolaire. L’année suivante, la renaissance du label Verve lui permet d’enregistrer un album en public, Let It Be Me, et de revenir ainsi d’autant plus sur le devant de la scène que la version originale du titre « My Baby Just Cares for Me » datant de 1958 est utilisée dans une publicité sortie au Royaume-Uni pour No 5 de Chanel. Sa réédition se classe à la 5ème position dans le classement des singles outre-Manche. En 1992 sortent son dernier album, I put a Spell on You, et sa reprise émouvante de « Ne me quitte pas » de Jacques Brel. En 1993, elle s’installe près d’Aix-en-Provence. En 1995, elle incendie sa maison et tire au pistolet d’alarme sur un adolescent qui faisait trop de bruit dans une cour voisine, écopant de huit mois de prison avec sursis. En 1998, elle est l’invitée spéciale de l’anniversaire de Nelson Mandela. Elle meurt le 21 avril 2003 à 70 ans d’un cancer du sein à son domicile de Carry-le-Rouet, dans les Bouches-du-Rhône. Ses cendres sont dispersées en Afrique.


L’école des charts

Nina Simone laisse derrière elle des interprétations de chansons originales ou de reprises inoubliables, dont beaucoup ont fait la joie des auteurs et des amateurs de films, séries et autres BO de jeux vidéo. Entre autres exemples, on retrouve ainsi « Sinnerman » intégré dans les séries Scrubs, Sherlock et Lucifer, dans les films L’Affaire Thomas Crown, Miami Vice et Inland Empire, et utilisé en extrait par Timbaland. Sans oublier la reprise mémorable de « Lilac Wine » par Jeff Buckley et celle de « Feeling Good » par Muse. Will.I.am, Kanye West, Lil Wayne, Common ou encore Talib Kweli lui ont également – plus ou moins heureusement – rendu hommage.