[Groover Time #1] Judy, Frozen Sky, Eduardo Diaz, RA2Z, Monnekÿn et Petit Nuage

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By Raphaël DUPREZ

[Clip] Judy – No time

Au premier abord, on serait tenté de définir la musique de Judy comme une collection de créations essentiellement bercées par un folk naturaliste et humaniste. Mais l’ensemble de l’œuvre d’art que constitue « No time » démontre que les capacités de la musicienne vont bien au-delà. Que ce soit à travers les plans aériens ou plus intimistes d’Emma Vision à la réalisation, ou au fil du chant et d’une instrumentation allant droit au coeur et faisant immédiatement frémir nos épidermes, l’ensemble est une merveille de confidentialité face à l’urgence, une pause visuelle et sonore confrontée à la course effrénée de l’être ne prenant jamais le temps de contempler, de s’interrompre, d’admirer. « You’ve got no time to be satisfied / You’ve got no time to look at the skies / You’ve got no time to be hypnotized ». Définition rassurante et parfaite d’un changement radical d’attitude que Judy expose devant nos yeux grâce à des images tendres et des paysages à couper le souffle, « No time » ne se contente pas de l’intériorisation d’un réconfortant état méditatif ; c’est un mode de vie, une expérience à laquelle nous devons nous livrer, même quelques secondes ou minutes, dès que le besoin s’en fait sentir. Une plénitude douce et passionnée, dont la tendresse ne cesse de nous émouvoir.


[Single] Frozen Sky – You’re Not Winning

« You’re Not Winning » est un véritable du jeu du chat et de la souris pour l’auditeur désireux de s’y immerger. Sous ses atours de piste électro minimaliste, il se pare de dialogues et promesses vocales adressés aussi bien à un interlocuteur imaginaire qu’à nous-mêmes. Une poursuite du bonheur qui paraît ne jamais pouvoir être atteint, une course périlleuse vers la joie de la rencontre et l’installation superflue d’une dépendance affective rapidement effacée. Les sons s’enlacent tendrement, progressent dans une admirable cohésion où le choc final, emporté à travers des beats dont l’impact nous percute de plein fouet, nous laisse seuls face à un miroir sans reflet ni espoir. De la séduction à la rupture, il n’y a qu’un pas, puis un silence à peine marqué par une phrase courte et une nappe sonore lointaine, emplie de questions et de déceptions. Frozen Sky nous offre une obsédante effervescence sensitive et émotionnelle, un labyrinthe musical dans lequel on aime se perdre pour ne jamais oublier que, malgré tout, il y a toujours une issue, quelle qu’elle soit.


[Single] Eduardo Diaz – Subiendo La Montaña

La douceur paisible et mélancolique d’une simple guitare acoustique. Le tremblement subtil des cordes, le contact des doigts caressant l’instrument de l’extase ultime. « Subiendo La Montaña » contemple un paysage nu de toute influence humaine, de toute création artificielle menant à la destruction d’une nature trouvant, grâce à Eduardo Diaz, un écrin d’une sidérante beauté. Bande originale d’un film mental que nous nous surprenons à regarder devant nos yeux oubliant les lieux où nous nous trouvons, le titre s’impose, résonne, bouleverse. La sérénité tant méritée ne fait pas qu’être entendue : elle se vit, entre en contact avec nos neurones et tous les pores de notre peau, accède à notre cœur sans difficulté ni exagération. Dans ses dernières secondes, « Subiendo La Montaña » s’offre au mystère, au futur des landes perdues qu’il a si parfaitement dessinées ; et nous demande de tracer, quels que soient nos dons, les histoires et moments existentiels aptes à accompagner cette promenade affectueuse et bienveillante.


[Clip] RA2Z – Comme papa

L’expression « C’est dans les gènes » se prend une méchante claque grâce au clip percutant et imparable de « Comme papa ». Sans jamais essayer d’embellir une situation originelle critique – les violences conjugales -, « RA2Z s’empare du sujet en se mettant à la place du tortionnaire et des mille et une excuses qui justifieraient ses actes. L’impact est encore plus fort à travers le noir et blanc d’images oscillant entre la chorégraphie et la percussion rétinienne, tandis que le débit du rappeur étale les idées reçues et clichés pour mieux se les accaparer et les démolir un par un. Le texte est vif, mouvant et ravageur. Et illustre à la perfection la confrontation de deux êtres entre domination et soumission, tout en montrant que l’opposition au diktat du mâle alpha est en train de prendre forme. Doigt d’honneur musical aux éternelles auto-permissions de la virilité, « Comme papa » décape au marteau et au burin les pièces éclatées de règles et de comportements méritant amplement ce que RA2Z leur réserve. Avec, en prime, l’une des phrases les plus cruelles jamais entendues sur le sujet, mais qui résume totalement l’égocentrisme masculin : « En dernier hommage à ta mémoire, j’amènerai ma maîtresse à l’enterrement ». Rien à ajouter, tout à accomplir.


[Clip] Monnekÿn – Simian Nation

« I want some classic shit ». On pourrait s’attendre à une scène champêtre dans laquelle une bande d’hurluberlus totalement paumés débarquerait en rase campagne pour se défoncer au doux son de musiques insulaires. Grave erreur : « Simian Nation » est une baffe monumentale, un pur moment de jouissance fracassant les tympans et traumatisant les cervicales. Un groove méchamment calibré pour les oreilles les plus à même de se laisser impacter par un son dantesque, et tout ça dans une simple camionnette et au milieu des champs et des arbres, s’il-vous-plaît. Monnekÿn parvient à accomplir un tour de passe-passe pour lequel il fallait un sacré culot : se fondre dans la nature et revenir à l’instinct primaire en y insufflant un torrent de sonorités aptes à bouleverser les périlleux équilibres humains et tectoniques. Le résultat est malin, simple mais terriblement efficace, le groupe mélangeant, au fil d’un timing au cordeau, neo metal et hip-hop sans que cela ne ressemble à qui ou quoi que ce soit d’autre. Fourmillant de détails sonores pour lesquels on ne saurait que trop vous conseiller de tendre attentivement l’oreille, « Simian Nation » est primal, sauvage et, plus que tout, libre de tout et de tous. Jetez-vous sans plus attendre sur Ape Home, premier opus sorti le 21 octobre dernier et d’ores et déjà condamné à tourner longtemps, très longtemps, sur nos platines.


[Clip] Petit Nuage – BB Toi & Moi

Au départ, on pense à la nostalgie d’une rupture, à la douleur de la solitude et à cet état second dans lequel les souvenirs nous plongent inlassablement. Pourtant, « BB Toi & Moi » pose un regard à la fois humoristique et lucide sur une situation qui, elle, ne l’est pas la majorité du temps. Petit Nuage ne cherche pas à orienter sa pop vers le style usé d’une ritournelle complaisante et faussement romantique, comme le prouve son refrain entêtant et sûr de lui. Au fil d’un clip alternant interprètes et lieux vides, le spectateur voit évoluer devant lui les conséquences de faux espoirs auxquels on aime pourtant, du fait d’un masochisme constamment involontaire, se raccrocher. « BB Toi & Moi » cache bien son jeu, sous un titre ne démontrant en rien le potentiel réconfortant de la chanson qu’il définit. Décider d’y entrer revient à parcourir les couloirs et méandres d’une inspiration sincère et poétique, sans jamais oublier de demeurer dans un réalisme qui, en moins de trois minutes, nous réchauffe le cœur et change pour toujours nos conceptions erronées des faux-semblants sentimentaux.