[Groover Time #2] Wieke Garcia, Pascal Lengagne, Out Run, Bikini Test Failure, Alba et Shadi

Photo of author

By Raphaël DUPREZ

[Single] Wieke Garcia – Moriña

Il suffit parfois de quelques notes délicates et célestes pour transformer votre univers ambiant en refuge, en lieu sacré où l’inspiration et la plénitude s’enlacent tendrement. Au fil de la harpe de Wieke Garcia, le temps se fige, ne laissant couler que les mélodies confortables d’une piste progressant lentement vers l’extase vocale et la révélation. « Moriña » défie la gravité et nous invite à côtoyer l’apesanteur, la sérénité, l’instant présent. Loin de toute démarche aisée et apte à rapidement basculer dans les modes obsolètes du New Age, l’art de la compositrice préfère se confronter à une écriture aussi subtile que complexe, à des mouvements sonores mystérieux et lumineux. Ainsi, lorsque le chant apparaît à l’horizon, l’ambiance devient plus chaude et affectueuse, îlot merveilleux au coeur d’un désert immense où « Moriña » sera notre seul guide vers la liberté et la source qui apaisera notre soif. Une magnifique introduction au nouvelle EP de notre déesse, Earth, disponible depuis le 2 décembre et dont nous vous reparlerons très bientôt.


[Single] Pascal Lengagne – Prélude

L’interaction idéale, le risque à la fois calculé et imprévisible de mêler électronique et organique. « Prélude » se tient sur le fil ténu oscillant entre musique instrumentale et bande originale, deux genres dans lesquels Pascal Lengagne aime à s’essayer à de nouveaux plaisirs et de merveilleuses aventures. D’une introduction fine et cristalline, le compositeur s’oriente lentement mais sûrement vers un impressionnant échange avec le violoncelle, les claviers et la batterie, sans que cela ne semble artificiel ou désincarné. C’est même l’exact opposé : « Prélude » se frotte aux atmosphères du jazz et de l’électro, aux douceurs suaves de l’art classique et des rythmes afro-américains, dans un ensemble dont la cohérence est aussi admirable que la beauté qu’il dégage. Pascal Lengagne s’engage pleinement sur une route inédite grâce au périple intérieur auquel il nous convie, tandis que son talent et son don inné de créateur s’amplifient à travers une intensité harmonique qui, seconde après seconde, dévoile une myriade de trésors et de sensations.


[Clip] Out Run – Meet Me On The Road

« Meet Me On The Road » naît sous le signe de la rencontre, de l’apprentissage mais, plus que tout, d’une liberté que l’on désire à tout prix retrouver. Qu’il s’agisse des trois créateurs originels du projet Out Run, prêts à se lancer à corps perdus dans une aventure prenant rapidement l’apparence d’une renaissance, ou de la chanson elle-même, ode à l’échange et à l’émancipation par le voyage et l’instinct, ce remarquable élan de désir et de révélations intérieures ne cesse de se mouvoir devant nous et en nous, amplifiant ses effets synthétiques et vocaux grâce à l’apparition spontanée de sons organiques, âpres et sulfureux. « Meet Me On The Road » conjugue à la perfection l’électronique et l’organique, le blues et le synthétique, la tendresse et l’incandescence. Un road movie tendre et cruel, dont les essences délicates s’unissent au soufre d’une expérience hors norme, charnelle et volontaire. Out Run sort des sentiers battus et trace son propre périple, accueillant à bras ouverts toutes les créatures terrestres et surnaturelles qui croisent immanquablement son chemin.


[Clip] Bikini Test Failure – But I Still Love You

Forcément, rien ne pouvait se passer comme prévu. Et, pour tout dire, quand on a la poisse, c’est souvent pour la vie. C’est exactement ce que nous dicte Bikini Test Failure au fil de ce « But I Still Love You » dont la plume plonge à la fois dans l’acide et le pardon. Le temps s’allonge, se modifie et démontre à l’amour perdu que, finalement, tout était écrit par avance. Partant des conséquences pour mieux comprendre les causes, l’anti-héros James regarde le monde qui l’entoure et le commente ouvertement, sans jamais oublier de le rapprocher de la source originelle dans laquelle il a recueilli les éléments essentiels de sa chanson. Des moments de vie capturés sur le vif, là où naissent l’absence et ses souffrances. Pourtant, « But I Still Love You » se rapproche davantage de la comédie dramatique que de la tragédie, du fait d’un songwriting à la fois accessible et précis. Sous ses faux airs de has been qui n’a jamais vraiment été, Bikini Test Failure s’amuse de l’échec, de l’ingratitude existentielle et d’un paraître qui ne lui ressemble pas. Et, en quelques secondes, transforme la victime en personnage victorieux et admirable, sourire au lèvres, guéri et aguerri.


[Clip] Alba – Nouveau problème

Qu’on le veuille ou non, l’âge nous guette sournoisement. Les années défilent et les signes du temps s’amusent à se régulièrement se rappeler à nous. De ce point de départ en apparence évident, Alba nous offre un court-métrage dont la poésie est emplie de mille et une visions de cette vieillesse qui nous attend au bout du chemin. Mais, grâce à « Nouveau problème », elle en fait une expérience à part entière. Il ne s’agit plus d’interpréter les rides, les changements physiques ou les réminiscences mémorielles ; il faut simplement visiter à nouveau la boutique de souvenirs de notre histoire, la progression constante de notre humanité par le prisme de l’intériorisation, puis du reflet. De ce fait, le clip est à la fois humoristique et nostalgique, fourmillant de symboles, d’actualités persistantes et, plus que tout, d’échanges. « Nouveau problème » confronte deux entités d’une seule et même femme ; deux époques qui, l’une sans l’autre, ne seraient rien. D’expériences en révélations, la chanson est surtout la réponse concrète à cette question essentielle : pourquoi avoir peur de la fin ? Et ses conclusions sont d’une rare sagesse.


[EP] Shadi – Pyj Party

Il est étrange de pénétrer dans l’univers à la fois coloré et sombre de Shadi lorsque l’on découvre pour la première fois Pyj Party. En effet, les créations de la musicienne donnent naissance à un monde en tous points similaire au nôtre, traçant les traits de caractères que nous croisons tous les jours, des influenceurs aux célébrités en devenir en passant par les victimes de cauchemars indicibles et dont la nature se révèle rapidement démoniaque. Et c’est bien dans cet enchevêtrement d’émotions et de figures que la musique de Shadi s’éloigne de ce qu’il nous est donné d’entendre habituellement dans la pop ; car elle fouille autant les décombres de la solitude que les lieux encore vierges de ce qui pourrait être, si chacun y met du sien. Avec une lucidité baignée de magie et de tendresse, elle écrit les comptines d’un ordinaire au bord du surnaturel, qu’elle amplifie par son travail vocal riche et imprévisible. Bercé de multiples arrangements mouvants et passionnants, Pyj Party nous convie à une soirée entre amis, de celles qu’un rien peut faire basculer et durant lesquelles les caractères s’illuminent tels qu’ils sont, bons ou mauvais, sous l’éclat puissant et menaçant de l’astre lunaire. Un opus empli de contrastes, d’espérances et de désillusions, nous emmenant vers un ailleurs où il fait bon se sentir vivre, entre sueurs froides et chaleur cardiaque.