[Groover Time #7] Until Therapy, S.J. Armstrong, Station, H13NrV, Marco Bruno et Éliha

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By Raphaël DUPREZ

[LP] Until Therapy – Finding Unity In Sickness

Il est toujours agréable de sentir qu’en lisant uniquement le titre d’un album, il sera possible de comprendre immédiatement ce à quoi nous allons être confrontés. Dans le cas d’Until Therapy, tout fait sens, du nom même du groupe à la définition de son premier album. Finding Unity In Sickness est l’antichambre de la psychanalyse, l’inhibition des colères et pertes de repères d’un individu confronté à sa propre déchéance et à la meilleure façon de s’en extirper. Ce qui transforme l’opus en une œuvre bien plus puissante qu’un travail bercé de neo-metal. Les voix se répondent et illustrent chaque tourment, chaque paradoxe avec une acuité à la fois concise et fébrile, tandis que l’instrumentation – dont il faut au passage souligné le splendide travail de production – s’accorde des variations et écarts harmoniques nous plongeant régulièrement aux portes de l’Enfer intérieur et de la déchéance. L’opus se mue en une traumatisante dualité : celle de la main tendue pour sortir la tête de l’eau et l’autre, vicieuse et insidieuse, de créatures à figure humaine ne cessant de nous attirer vers le fond. Pour celles et ceux qui douteraient encore de la capacité des musiques extrêmes à soigner les maux de l’âme, Finding Unity In Sickness risque bel et bien de vous faire changer d’avis. Et de fédérer les oubliés, les rebus et les entités vivantes rejetées du fait de leur différence pourtant essentielle aux progrès du monde moderne.


[LP] S.J. Armstrong – The Narrow Coast

The Narrow Coast est une exploration subtile et intelligente de décennies rock, folk et punk ayant imprégné l’art unique de S.J. Armstrong. Le compositeur et multi-instrumentiste, porté par les mélodies de bon nombre de ses prédécesseurs, cherche cependant à aller plus loin, à découvrir des horizons jusqu’ici inexplorés. Ce qui transforme admirablement le disque en une variation constante de douceur et d’électricité, de sagesse et de réflexions intimes. Dans cette optique, l’usage des voix est splendide, car devenant rapidement le fil conducteur d’un voyage artistique nous permettant de découvrir mille et une surprises, tout en sentant leurs vibrations au plus profond de nos corps. À ce titre, « Back Home » pose les enjeux et conséquences de l’insatiable introspection de son créateur, mélangeant la rugosité de guitares lacrymales et l’angélisme d’un chant en quête constante de réponses, de luminosité. Une poésie humaniste et séductrice, charriant les beautés et inquiétudes de l’individu au milieu d’une société que lui-même ne comprend pas et dont il préfère se défaire. S.J. Armstrong est un paria fantastique, le rêve fait chair de nos propres incompréhensions et déceptions.


[Clip] Station – Bulle Star

Dès qu’il s’agit de l’absence de l’être aimé, beaucoup auraient trop tendance à se fourvoyer dans des chansons parfois trop douces et, souvent, tristement mièvres. Et pour cause : l’exacerbation du romantisme dans la folie de notre monde moderne est quasiment devenue un mode d’expression à part entière, d’une simplicité que l’on pourrait définir comme futile ou, pire encore, passablement irritante. Se confrontant sans fard à ces facilités, Station n’hésite à aucun moment à illustrer « Bulle Star » d’images chocs, de plans montrant les sources artificielles de l’oubli, les soulagements périodiques du manque sous toutes ses formes. En plus d’inspirer une sensation cuisante de solitude et d’isolement, le clip de Station est un trip aux allures de descente aux enfers, sans chantage mais en affrontant les démons nocturnes sous leurs aspects les plus vicieux. De la poésie de la chanson émerge un isolement physique et mental étreignant le spectateur qui, au lieu de se cantonner à la peine éprouvée pour notre héros, partage son malaise et ses souffrances. Dès lors, « Bulle Star » est une confrontation aussi sensible que brutale à la séparation, au manque et à ses effets secondaires dévastateurs. Jusqu’à un final d’une beauté saisissante, tout en n’effaçant pas le calvaire vécu et contemplé pour y parvenir. Un pari risqué, mais parfaitement maîtrisé et accompli.


[Clip] H13NrV – Lui

Se calfeutrer. Vivre une existence en mode automatique, sans saveur ni couleur. Se laisser happer par les habitudes. Ne pas pouvoir ne serait-ce qu’essayer de résister. Le thème de la post-rupture, si souvent utilisé par de nombreux artistes, devient, grâce à H13NrV, la révélation pure et simple de ce qui se produit réellement, au quotidien. N’essayant jamais, ne serait-ce qu’un seul instant, d’amplifier l’absence et ses conséquences, l’artiste raconte ce qui s’est produit et ce qui aboutit à un enfermement sur soi-même, sans pour autant s’isoler radicalement de ce qui fait sa force : la création. Par instants, les fantômes apparaissent fugacement, immortalisant par l’image le souvenir mental. La narration est franche, implacable, redoutable. Et s’illumine dès lors que l’enfantement d’une chanson sous forme d’exutoire occupe tout l’espace visuel. Moment précieux, fulgurant, magique et tragique. Le contrepoint d’une dépression programmée, mais qui n’aura jamais lieu tant que l’acte de façonner les sentiments demeurera inaltérable. Une échappatoire magnifique et transcendant le drame à la perfection.


[LP] Marco Bruno – Stay Together

Stay Together n’a pas la prétention de révolutionner le jazz et, pour tout dire, ne revendique jamais cette profession de foi. Au contraire, l’ambition de Marco Bruno se trouve ailleurs : ne cherchant à aucun moment une exhibition trop poussée de la technique, le compositeur préfère doser et employer les outils nécessaires à la projection musicale de sa psyché, qu’ils soient acoustiques ou électroniques. Le résultat est un disque lumineux, empli d’une multitude de détails impulsifs sans être inutilement cérébraux. Basculant le plus naturellement du monde du groove à la world music, fouillant les styles afin d’en extraire les craies aptes à tracer les contours de son imaginaire, le compositeur s’amuse et nous entraîne à ses côtés dans ses expériences sonores, là où règne le plaisir d’être ensemble et de s’écouter les uns les autres. C’est bien cela, la vocation première de Stay Together : faire naître le lien dans un espace où beaucoup auraient trop souvent tendance à penser qu’il n’en existe aucun. Glisser de la tendresse à l’effervescence, de la danse au recueillement. Une épopée formidable et sincère, dont les effets sur l’organisme demeurent longtemps présents, après de nombreuses écoutes.


[Clip] Éliha – Zoaz

Le vent. Les murmures des âmes perdues, des esprits toujours présents auprès de nous. « Zoaz », l’ode au départ, au retour à la terre, aux poussières vitales du désert intérieur. Par l’harmonium et la voix, Éliha transcende ces instants ultimes, respire et souffle délicatement le souvenir toujours palpable de l’être. D’une beauté évanescente, le poème se pare d’un noir et blanc parfaitement mis en scène, au fil d’une sobriété visuelle traversant cependant les univers connus, autant que ceux qu’il reste encore à découvrir. Elle demeure la reine de ce lieu, exprime sa complainte avec une grâce et une humilité qui nous transpercent immédiatement le cœur et l’âme. Les éléments se conjuguent à sa tristesse, à sa rage. Le ciel semble autant veiller sur elle que se déchirer dès que le son s’embrase. Éliha, sous le voile du deuil et de la renaissance, n’hésite à aucun moment à se mettre elle-même en scène afin de dessiner les contours de l’oubli, de la disparition. « Zoaz » est une errance sur les aspérités du trouble, de la tristesse, de la crainte et de la réconciliation. Un tableau vivant de la lutte entre abandon et espérance.