[News #2] MPL, Anna Erhard, Erica Mantone, Kid Among Giants, Nine Skies et Gabriel Keller

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By Raphaël DUPREZ

[Clip] MPL – Sur une échelle

Le désarroi du petit-fils devant sa grand-mère, ses derniers instants, ses regrets, ses occasions manquées. Le texte de MPL explore ce vide qui nous étreint tandis que les heures défilent et peuvent, en un clin d’œil, devenir d’ultimes lendemains. Que reste-t-il, sinon cette fougue inconnue quelques secondes auparavant, cette fulgurance mentale qui, pour l’entourage, permettra de dépasser le contexte lacrymal, la solitude et le chagrin prédéterminés ? « Sur une échelle » montre les différents stades de l’histoire de nos ancêtres : ceux que l’on connaît ou que l’on ignore, ceux que l’on découvrira plus tard, quand le deuil aura fait son œuvre, dans des greniers poussiéreux ou des réminiscences mentales ayant patiemment attendu leur heure. Pour le moment, seul compte l’instant ; le dialogue qui, même sans réponse, est l’un des plus importants échanges de toute une vie partagée. MPL écrit le poème ultime du testament et du patrimoine génétique, culturel, sanguin. Le prolongement d’une présence, à jamais gravée dans nos chairs et nos esprits, écrivant leurs pages sur les livres de notre avenir.


[Clip] Anna Erhard – Horoscope

Le match parfait existe-t-il en astrologie ? Cela dépend de ce dont on parle, et c’est bel et bien ce que pointe Anna Erhard du doigt à travers son ironique « Horoscope », parfait agitateur de conscience des addicts aux pages chargées de signes divinatoires d’une multitude de revues lambdas capables de dire tout et son contraire. Là, il s’agit d’attraction, d’une possibilité de rencontre et d’un amour naissant selon les constellations, les alignements de planètes, etc. ; mais tandis que notre musicienne se précipite vers cette chance s’offrant à elle, un doute commence à naître. « I’m anti everything / You look for the heart of things ». la cadence ralentit, puis redémarre mais avec beaucoup moins de certitudes. Les figures du Tarot sont en proie à des dérèglements esthétiques faisant sombrer les évidences dans les fosses communes de la folie et de l’improbable. Un titre drôle et cruel, où le second degré reflète une forme indubitable de vécu.


[EP] Erica Mantone – I May Have Asked For This

Résumer l’opus d’Erica Mantone à une collection de chansons teintées de country et de folk reviendrait à passer à côté des dons immenses d’une compositrice difficile à ranger dans des cases. En effet, I May Have Asked For This est avant tout l’histoire d’une narration, d’une collection d’anecdotes éprouvées non pas à travers un réalisme brut et cru, mais bien grâce aux sensations, qu’elles soient épidermiques, spirituelles ou artistiques. Les esprits de l’americana viennent soudainement se réchauffer au coin d’un feu confortable de bluesmen attendant celle qui, sans surprise, va se joindre à eux. La voix se métamorphose au fil des six nouvelles de ce disque raffiné et direct, qu’elle se fasse colérique ou caressante, appelant dissonances et subtilités harmoniques au milieu d’un ensemble d’arrangements précis et parfaits, de rythmes bourlingueurs et de dialogues acoustiques et électriques dont les climats, voiles nuageux et illuminations solaires et lunaires nous hanteront longtemps. Un travail baigné de pragmatisme et de divination, apte à nous inspirer des souvenirs indélébiles.

I May Have Asked For This d’Erica Mantone, disponible depuis le 10 mai 2022.


[EP] Kid Among Giants – Afterlife

Une oscillation entre la gravité et l’imagination, entre la mélancolie et le retour brutal sur des terres inhospitalières. Une envie de résister à la désertion, à la chute dans les gouffres sans fond de la résignation et du silence éternel. Un combat entre l’Enfer intime et les paradis terrestres. Afterlife, résurrection d’une beauté noire et figurative de Kid Among Giants, déambule et s’imprègne de derniers souffles, de prières quasiment inaudibles, de sons technologiques épuisés et en totale obsolescence programmée. De là, les élans rythmiques et harmonies sensitives dérèglent l’inexorable, la narration se mue en une invocation salvatrice. De l’espoir en équilibre instable de « Dignity » aux diaboliques élucubrations instrumentales de « The Devil », Afterlife regarde tant vers le salut qu’en direction du Purgatoire. Sans faire de choix mais en attendant simplement que la balance de la justice accomplisse son rôle et décide du sort ultime. Le disque est une bataille, un dernier et puissant souffle apte à remettre en question ces choix spirituels d’un autre temps, sans les critiquer mais en leur inculquant de nouveaux principes. Une merveille de communion entre les courants vocaux et les accroches subtiles et précises de machines plus humaines que nous-mêmes.

Afterlife de Kid Among Giants, disponible depuis le 13 mai 2022.


[Clip] Nine Skies – Porcelain Hill (Live Streaming)

Au fil de « Porcelain Hill », fragilité et volonté se côtoient et se disputent l’âme de Nine Skies, du souvenir immuable d’instants précieux à l’avenir de peines et de combats s’offrant, au fil de plans nous introduisant à chacun des musiciens, à une tenace volonté de victoire. Pourtant, le chant et la poésie narrative du texte, bercée entre le conte mythologique et la véracité de l’existence, sert d’écrin à l’arme la plus douce et efficace du conflit qui nous occupe. Nine Skies brode ses mélodies, arpèges et dialogues instrumentaux en adoucissant les aspérités d’un champ de de bataille existentiel où l’action, sereine et silencieuse, se produira sans que l’on puisse se rendre compte ni de ses premiers instants, ni de son issue. Et pour cause : « Porcelain Hill » dessine aux pigments de la sagesse les ondulations et formes uniques et inséparables du passé, du présent et du futur, tant confidentiel qu’universel. Le charme simple et hypnotique de Nine Skies ouvre grand les cieux rédempteurs d’une infinité de découvertes et de possibilités.

5​.​20 Special Edition (CD + DVD) de Nine Skies, disponible depuis le 2 mai 2022 (Anesthetize Productions)


[LP] Gabriel Keller – Clair Obscur

La progression constante de Clair Obscur demeure impossible à deviner, tant les capacités du musicien et des artistes invités qui l’entourent paraissent inépuisables. De plus, imaginer ce qu’aurait pu devenir ces compositions tendres ou sulfureuses dans les esprits d’autres instrumentistes et compositeurs est invraisemblable. Gabriel Keller s’écoute et consume nos neurones enflammés par ses alternances entre douceur et odeurs d’essence, entre flamme et caresses aquatiques. Les chants féminins orientent l’auditeur vers des lieux paraissant fertiles et reconnaissables entre tous, mais dont les mouvantes parois rocheuses ne se ressemblent plus ni les unes, ni les autres selon l’éclairage du soleil ou de la lune. Clair Obscur est une extase apaisante avant de se transformer en une tétanisante effervescence sensorielle, la complémentarité de ses deux parties demeurant fluide et indiscutable. De la déshydratation à la soif étanchée, de l’égarement à la lueur libératrice, la boucle temporelle de l’opus nous happe et se refond écoute après écoute, sans que nous ne voulions à aucun moment nous en libérer.

Clair Obscur de Gabriel Keller, disponible depuis le 19 mars 2022.