[Groover Time #27] Amanda Tovalin, Piège à Rêves, Yahtzee Brown, Friendship Commanders, Jevill Project, J.P Kallio, Imperial Road, Wonderfuzzy et Blue and Broke

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By Raphaël DUPREZ

[Single] Amanda Tovalin – Nada

C’est dans une forme musicale de minimalisme et de beauté intime qu’Amanda Tovalin interprète « Nada ». La compositrice mexicaine se focalise avant tout sur la manière dont les instruments acoustiques sont à même de porter sa langue et son verbe, ce mystère de ce qui est tout et, en un clin d’œil, peut fondre dans le néant. L’indicible et l’invisible s’unissent au chant doux et limpide d’Amanda, l’ensemble offrant un poignant écho à la place de l’humain et de sa spiritualité au sein d’une nature dont il ne doit jamais oublier qu’il fait intégralement partie. « Nada », poème précieux et cristallin du silence et de l’insaisissable, s’élève au final vers une volonté exaltée de s’incarner, de devenir, d’être.


[LP] Piège à Rêves – Au milieu des foules

Il y a quelque chose d’oppressant à l’écoute d’Au milieu des foules. Un sentiment intense de solitude, de perte de repères, d’inadéquation avec le monde ambiant. Au crépuscule de l’humanité, Piège à Rêves dresse un constat non pas alarmant, mais dont le réalisme nous place en position de victimes et de coupables, alors que l’inverse devrait pourtant s’imposer. Le rock et le blues viennent perturber les moments de quiétude, la paix vite chahutée d’instants définitivement maudits. C’est ainsi qu’éclate l’écriture douce-amère de Piège à Rêves : dans l’observation et la revendication d’une narration fidèle à la crise intérieure, à ce qui révolte et finit, dans un lent et douloureux enfantement, par naître. Aucune violence inutile, aucune colère ; seules, les chansons acceptent leur statut, leur fonction et, par un tour de magie issu du néant, heurtent nos rémissions et nos introversions.


[Single] Yahtzee Brown – Take it back

Au fil d’un songwriting pop rock sensible et inspiré, Yahtzee Brown nous raconte, grâce à une multitude d’éléments précis et d’événements concis amplifiant l’environnement où nous évoluons, un exemple flagrant d’attraction/répulsion. « Take it back » marche d’avant en arrière, regarde la scène d’un point de vue extérieur tout en essayant, autant que possible, de s’y inscrire pour accomplir le rôle qu’il doit tenir. Tandis que le doute lié aux intentions et conclusions paraît devoir s’imposer, la chanson se voit modifiée et amplifiée par des chœurs et arrangements beaucoup plus lumineux ; comme si l’auteur avait eu, en un éclair, une prise de conscience venant bouleverser l’état présent. Ce qui fait de « Take it back » une œuvre qu’il convient de garder auprès de soi, aussi longtemps que ses effets curatifs nous permettront de ne plus tomber dans les pièges de la dépendance au regard des autres.


[Clip] Friendship Commanders – High Sun

Beaucoup prennent sur eux, pensent que le trouble vient de leur personne et jamais d’autrui. Que le malaise, l’incompréhension et les silences qui s’ensuivent sont leur faute ultime. De ces images projetées en plein visage, de ces désignations du coupable basées sur tant de raisons injustifiées, Friendship Commanders pousse les responsables dans le vide et reconnaît qu’il ne s’agit jamais de se voir tel que nous sommes injustement reflétés. Pour ce faire, le rock se doit d’être puissant, abrasif et d’occuper tout l’espace afin de porter aux nues un chant clair et apaisé. La remise en question de sa propre place au soleil transforme « High Sun » en hymne des victimes de l’appréhension et de la facilité, des condamnés de l’existence dorénavant prêts à briser les doigts pointés sur eux.


[EP] Jevill Project – Concept

Quatre titres, cinq minutes. C’est tout ce qu’il faut à Jevill Project pour dynamiter de l’intérieur le metal hexagonal – et le metal en général. Sans que l’auditeur ne puisse jamais ressentir qu’il manque un développement ou une durée plus longue, Concept va droit à l’essentiel, proférant ses menaces instrumentales avec une clarté et une efficience de tous les instants. Loin de n’être qu’une démonstration de force, le disque nous offre une collection d’épiphénomènes sonores alliant l’implosion à la malignité, le résultat s’insinuant en nous comme le nectar précieux d’un style trop souvent mis de côté et mésestimé. La section rythmique file droit au but, pendant que les mélodies de guitare viennent donner leur essence organique à des œuvres hybrides, charriant autant de colère et de férocité que de vicieuse intelligence. Concept : à breveter de toute urgence !


[Single] J.P. Kallio – Carry the Scars

Plus qu’une complainte du silence et de l’absence, « Carry the Scars » est une avancée marquée au fer rouge du souvenir et de la perte. J.P. Kallio interprète une ballade dont le crépuscule, après avoir été empreint d’une émotion intense et mélancolique, regarde vers le futur. Ces cicatrices, ces chants des âmes égarées s’étendent peu à peu au cours du voyage, grâce à l’introduction toujours précise et fine d’instruments acoustiques résonnant comme les murmures des défunts, des liens brutalement brisés. Marchant seul mais ne tombant à aucun moment, J.P. Kallio écrit les maux afin de les transformer en un texte sacré, une prière que nous chérissons lorsque la peine devient trop pesante.


[Clip] Imperial Road – Gloria’s Pride

Le décor, sobre et nostalgique, est planté. Tout se déroulera sur scène, devant nos yeux, sans que nous puissions imaginer la suite. Dès que « Gloria’s Pride » entame ses premiers accords, plusieurs sensations nous viennent à l’esprit. Celle, d’abord, d’un rock anglo-saxon sur lequel les années n’ont toujours aucune emprise. Puis, petit-à-petit, l’impression d’assister à un événement toujours plus unique et dévoilant ses secrets au fil des accords et des mélodies. Imperial Road aime semer les graines à germer de son art avec parcimonie et délicatesse. Ce qui grandit alors donne lieu à de brillantes fulgurances instrumentales, à une saturation du son qui, plutôt que d’étouffer son actrice principale et ses acolytes, les montre en totale harmonie avec ces entrelacs électriques et suaves. « Gloria’s Pride » ne démérite en rien de la fierté qu’il affirme. Il est, purement et simplement, l’une des plus captivantes variations du thème rock, de sa signification originelle et de ce qu’il exige de la part de celles et ceux qui se frottent à lui.


[EP] Wonderfuzzy – Lair of Bears

Au premier abord, Lair of Bears apparaît comme une collection de petites merveilles folk dont l’innocence et la pureté juvénile nous offrent un moment de calme bienvenu. Mais la musique de Wonderfuzzy est bien plus intelligente et savante qu’elle n’y paraît. Focalisé sur l’importance de mélodies soignées et d’une écriture alliant la douceur à l’intransigeance, le disque est d’une incroyable maturité sonore et vocale, car empli de plaisirs fous à composer et à communiquer. Cherchant, grâce à ses paroles, à comprendre et infuser les sensations d’un vécu en devenir mais ayant d’ores et déjà concrètement roulé sa bosse, Lair of Bears regarde le monde par le prisme d’un art unique, d’une mélancolie souriante malgré les larmes perlant au coin des yeux. Une pièce d’or scintillante mais dont il convient de ne jamais oublier qu’elle a, au creux de nos mains, deux faces et deux issues face aux sortilèges du destin.


[Single] Blue and Broke – Quand Je Serai Morte

Une nouvelle version d’une chanson déjà connue peut parfois devenir l’objet de nombreuses critiques ou interrogations. Pourquoi cette nécessité ? Dans quel but, quand le titre original se suffit à lui-même ? Mais, dans la voix d’Elsa, « Quand Je Serai Morte » résonne différemment, sans doute plus intensément. L’interprétation de Blue and Broke est sobre, ancrée dans un folk dont la douceur se fait écho à la gravité du texte. Celui-là même qui, au lieu de ne se morfondre que sur l’absence, est un élan vital faisant rapidement l’unanimité. Dans l’esprit de funérailles gospel où la joie se doit de perdurer avant le deuil, « Quand Je Serai Morte » accompagne les âmes défuntes vers le salut, et ravive en nous une flamme que nous croyons trop souvent éteinte pour toujours.