[Groover Time #26] Jessiah, Hervé Paul, Sutras, NUAGE KIWI, Eric van Aro, Trafik, Nubë, Deleo et John Gallen

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By Raphaël DUPREZ

[Clip] Jessiah – QUELLE

L’importance capitale de l’illustration des souvenirs et du parcours de Jessiah compte plus que tout le reste lorsque l’on regarde « QUELLE ». De films amateurs revenant sur ses premiers balbutiements au piano à des plans plus actuels, le compositeur nous montre le chemin qu’il a emprunté afin d’arriver au résultat maintenant offert. Une musique souple, délicate et précise, tandis que l’artiste se focalise, avec émotion et talent, sur sa performance. « QUELLE » interroge également Jessiah sur les êtres l’ayant accompagné tout au long de sa découverte. De la voix lointaine en introduction aux questions que nous nous posons tout au long du film, à savoir « Qui tient la caméra ? Et à qui sont adressés ces sourires ? », nous n’aurons d’autre et mystérieuse réponse que la délicatesse du toucher et des mélodies de leur créateur. Ce qui nous emporte déjà très loin, entre sagesse et imagination.


[Clip] Hervé Paul – La Terre Tourne

Un passage de témoin. La suite donnée à ce qui a été appris durant l’existence, aux parents, au amis, à celles et ceux qui nous ont amenés ici et maintenant. « La Terre Tourne » regarde également vers l’avenir, lorsque l’absence deviendra inévitable. La force du clip d’Hervé Paul se ressent à travers chaque plan, qu’il s’agisse de sa présence dans le cadre ou des témoignages vidéo venant, en filigrane, s’y incorporer. Le mouvement terrestre et vital s’amplifie constamment, sans aucune désillusion ou crainte. Le phénomène naturel est en cours et chaque chose se doit d’être saisie, chaque chance d’être savourée jusqu’à ses ultimes plaisirs. Il est difficile de ne pas être ému par le timbre si particulier d’Hervé Paul, par cette union vocale de la tendresse et de la fragilité. Le suivre avec « La Terre Tourne », c’est cheminer à ses côtés, observer et se nourrir des bonheurs et des épreuves. Une confidence ne cessant jamais de nous serrer, fort, dans ses bras. Tout ira bien.


[Clip] Sutras – A Lotus Like Mouth

Entrer dans « A Lotus Like Mouth » revient à assister au processus créatif de son compositeur et interprète, Tristan Welch. Durant les six minutes d’un plan-séquence collant au plus près du musicien, les mouvements et boucles harmoniques du titre montent en ampleur, en apesanteur. La première image – l’encens sur le point de se consumer – crée une ambiance saisissant le spectateur et l’asseyant devant Sutras, afin de se laisser emporter par la méditation instrumentale qu’il savoure, seconde après seconde. D’abord doux, le son se tend, s’étire et s’élève, appuyé par des amplifications luttant contre le minimalisme de la rythmique. Tout ici est question d’atmosphère et de perception. Chacun vivra l’expérience à sa manière, sans que quiconque ait besoin de lui dicter quoi faire pour s’y impliquer. D’échos en notes sensibles, « A Lotus Like Mouth » nous délivre l’introspection du peintre sonore face à sa toile, à ses désirs et à ses pulsions.


[EP] NUAGE KIWI – Ruines modernes

Des chambres. Des lieux de drames et de refuges, de solitude et d’appréhension. Ruines modernes plonge l’auditeur au cœur de cet espace restreint, clos et se suffisant à lui-même. Au milieu de ce décor dépouillé, NUAGE KIWI mène ses chansons au gré de ses interrogations. « Pourquoi ? » demeure l’essence constante de l’EP. Les débris de la relation amoureuse et de l’être perdu dans l’immensité de l’enfermement se succèdent, le long d’une voix douce, confidente. Mais ces chambres sont aussi les terreaux de la création, de la mise en mots et en musique des troubles et des murmures, des fantômes et formes persistants parcourant le sol, les cloisons, les meubles, le plafond. Ruines modernes n’est pas que le symptôme d’une destruction matérielle ; il est, surtout, la nécessité de rebâtir, une fois que NUAGE KIWI aura compris et intégré, dans son âme, les blessures et les fêlures. Un témoignage poignant, douloureux et nécessaire.


[Single] Eric van Aro – Open Relationship Blues

Revenant à l’essence d’un blues rock racé et sans compromis, Eric van Aro redore un blason terni par les années et l’oubli. « Open Relationship Blues » nous transporte de l’autre côté de l’Atlantique, au milieu d’une ville perdue, là où les individus se regroupent et chantent leurs inhibitions et leurs envies profondes. La musique est folle, énergique et imprégnée de cultures ancestrales. Le plaisir immédiat saisit et ne cherche à aucun moment à sortir de son chemin tout tracé. « Open Relationship Blues », c’est la rage contenue de ce qui se doit d’exister pour Eric van Aro, ici et maintenant. La forme romancée d’un songwriting originel capable de terrasser les messages hormonaux futiles et les dragues lourdes. Si vous vous demandez comment séduire sans imposer de règles ou d’irrespect, focalisez toute votre attention sur ce poème aride et franc. Vous y trouverez toutes les réponses à vos questions.


[Single] Trafik – Draw Breath

Parmi les nombreuses et indispensables évocations d’un futur proche de la dévastation, « Draw Breath » tire son épingle du jeu en imposant une structure musicale et vocale percutante et avide de réactions fortes de la part de l’auditeur. Partant du constat de la soumission et des dérèglements politiques et sociaux, de l’isolement de l’être-machine privé de toute âme ou volonté, Trafik définit en premier lieu le constat, puis le fracasse à grands coups de basses profondes et de beats explosifs. Pour autant, « Draw Breath » n’est pas une onde sonore inaudible ou trop exagérée ; car c’est dans la confidence de ses harmonies et arrangements que le titre prend toute son ampleur et trouve sa respectable utilité. D’élans cinématographiques en traumatismes bouleversant le nihilisme et la passivité, « Draw Breath » inspire, comprend ses colères puis les retranscrit avec autant d’intelligence que de sensibilité. Si, après une telle expérience, vous n’avez toujours pas conscience du rôle que vous avez à jouer, c’est qu’il y franchement un problème d’envergure.


[LP] Nubë – Songs for Ananim

Éprouver, plus que tout. Ressentir les battements de la vie, de la Terre. Inspirer, expirer. Laisser l’empreinte de la musique et des cycles solaires et lunaires s’emparer de la volonté de créer autant que de rendre hommage. Songs for Ananim n’est pas qu’un simple album folk ; il est une dévotion, une langue de l’invisible. L’écriture y est mouvante, propice aux réflexions spirituelles et intimes de ses créateurs. Filant parfois de précieux liens vers le jazz, l’opus revient à ses racines, en douceur et dans une cohérence infinie. Nubë se pose délicatement au centre de tout ce qui existe, par nous et pour nous. Un repère, un refuge où tout peut être dit, exaucé, médité. Une source de sagesse sur laquelle le temps n’a, et n’aura jamais, aucune emprise.


[Clip] Deleo – Unfair

Partager la vie des musiciens, la gestation d’une œuvre. Se poser à leurs côtés, écouter, ressentir, voir. « Unfair » met chacun de nos sens en éveil, déroule les scènes de l’inspiration et de la création. Deleo s’est lancé dans un défi de taille : illustrer, avec décence et humilité, le processus complexe et vivant de ses actions et réalisations. « Unfair » est un voyage de l’imaginaire au concret, du noir et blancs des premiers instants aux couleurs neigeuses et lumineuses de l’envol. Choisir une chanson comme « Unfair » afin d’accomplir ce cheminement n’était pas aisé ; pourtant, Deleo a parfaitement compris à quel point ce titre en particulier pouvait lui être utile, offrant une définition idéale de la transition entre idée originelle et transmission publique et universelle. Un spectacle à la fois affectif et étonnant, pour ne pas dire parfait.


[Single] John Gallen – Je M’en Fous

L’histoire d’une rencontre qui, en apparence anodine, marque énormément celui qui a la chance de la vivre. John Gallen, poète réaliste et précis de tous ces petits instants existentiels devenant éminemment importants, nous raconte à travers « Je M’en Fous » son échange avec une femme indienne rencontrée à Paris. La nonchalance de la musique et la douce présence du chant nous positionnent en témoins de l’action. De ces quelques mots reçus et offerts, du choix de vie de l’être côtoyé, John Gallen écrit un chapitre inédit du livre de ses insatiables voyages. « Je M’en Fous » : une expression usée jusqu’à la corde mais définissant à elle seule celle qui, dans son innocence retrouvée et assumée, aura bouleversé à jamais son interlocuteur.