[Groover Time #20] Rudy Dez, Nerveuze, Semoto, Select Captain, Krack, Blurry, Mimesis, Michel Cacchia et WarField

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By Raphaël DUPREZ

[Clips] Rudy Dez – Le banc / Seras-tu là

« Le banc » est sans aucun doute l’une des personnifications les plus fortes de ce que l’être humain ne prend jamais le temps de contempler. Ici, c’est la figure souvent croisée, et avec laquelle il nous arrive même de vivre quelques interactions passives, qui demeure constamment au centre de la poésie musicale de Rudy Dez. Témoin des climats, des individus, des métiers et des joies et peines, l’objet inanimé focalise notre attention, nous conte ses histoires, ses anecdotes. Au fil de mélodies et de rythmes s’amplifiant et se métamorphosant en osmose avec les silhouettes qu’il côtoie, « Le banc » démontre une sensibilité d’écriture magnétique et émouvante. Et nous interroge profondément sur tout ce que nous ne voyons pas, alors que ces minutes de grâce et de méditation sont constamment à portée de nos mains. « Le banc partage son horizon au fil du temps ». Il focalise et donne à aimer, à goûter, à apprécier.

L’importance cruciale du lieu, du décor des poèmes de Rudy Dez s’étend toujours plus à travers « Seras-tu là ». De nouveau, un espace concis, étroit, mais source de mille et un contes de l’ordinaire mus en expérimentation des sentiments. Les atmosphères de fin du monde qui parcourent ce nouveau court-métrage sont palpables sans jamais être oppressantes. Alors que tout bascule, Rudy Dez clame haut et fort son espérance, sa foi. Contrepoint de la passivité et de l’oppression du béton et de l’industrie, de la pollution de l’air et de la suffocation, « Seras-tu là » se vit tel une quête acharnée vers l’autre, une poursuite subtile de la perfection dans l’innocence et l’ingénuité. L’isolement prend fin, lors d’ultimes secondes transfigurant nos doutes ou les refus incessants qu’imposent nos barrières sociales et mentales. En deux films bouleversants et fragiles, Rudy Dez transcende l’amertume et nous promet, concrètement et affectueusement, de tendres desseins.


[EP] Nerveuze – Canopée Cry

Une exploration de l’après, de ce que les années de confinement et les moments de solitude ont pu avoir comme impact sur nos réalités et nos consciences. La poésie de Nerveuze est abrasive et aime provoquer, chez l’auditeur, une fascination parsemée de douleurs, de vérités mises en mots et en musique dans une recherche constante du rythme, de la percussion des esprits et des corps. Canopée Cry est meurtris de bleus, de blessures et de coups. La voix frappe, ne ménage jamais mais ne se cantonne pas à une violence gratuite ou désespérée. De même, les instrumentations se brisent, se saccadent. Art de l’amplification des causes et de la pureté des conséquences, l’EP est un trauma se transformant lentement en thérapie. Un combat frontal contre le laisser-aller et la désillusion. Quand beaucoup ont tendance à procrastiner ou à abandonner même les gestes et réflexions les plus simples et utiles, Nerveuze les provoque et parvient à les briser de l’intérieur. Sensible, troublant, cathartique.


[Single] Semoto – Amalia

Dans ses mouvements et impulsions synthétiques et électroniques, « Amalia » est une lumineuse exploration de la divinité, d’un être suprême pour lequel de longs discours et autres phrases surannées demeurent purement et simplement vains. Semoto focalise l’attention sur l’éblouissement, le respect de la créature à laquelle sa musique est offerte, non pas en sacrifice, mais dans un hommage d’une beauté à couper le souffle. En se concentrant sur l’essence de son art, le compositeur dépose délicatement les bribes de samples versatiles, de nappes de claviers dont la mélancolie se fait éclat. « Amalia » demeure un refuge, le temple d’une multitude de sensations, d’échanges et de pardons que nous nous refusions à accorder. La réconciliation du bien avec nos âmes égarées. La polarisation interne, puis universelle, d’un nouvel espoir.


[Clip] Select Captain – Every Second

La vue à la première personne, amplifiée par l’utilisation du noir et blanc, nous immerge immédiatement dans les subtilités pop rock de ce « Every Second » synonyme d’une errance amoureuse se battant constamment contre les blessures et les occasions manquées. Bien sûr, cette promenade impromptue le long d’une plage déserte instaure un climat de solitude qui ne cesse de nous étreindre, mais dont l’illustration sonore vient jouer au paradoxe sans que les deux éléments soient incapables de se rencontrer ni de se compléter. Select Captain centre l’écriture de son poème sur cette dichotomie, au creux de séquences continues mais, lorsque l’on y prête une attention croissante, évoquant les chapitres de la liaison et de la dépendance, de corps invisibles à nos yeux mais que notre imagination dessine sans aucune difficulté. « Every Second » : tout est crucial et vaut la peine d’être vécu, au-delà du doute et des conclusions futiles.


[LP] Krack – Verbum Irae

Verbum Irae est une créature mythologique enfermée depuis trop longtemps et qui, grâce aux incantations dantesques de Krack, parvient à s’extraire des ténèbres de sa cellule, à se libérer de ses chaînes. Contrepoint parfait de la chute de l’ange déchu, l’album laisse émaner les odeurs toxiques et putrides d’une prison charnelle et spirituelle où nous-mêmes avions laissé l’obscurité nous envahir. En dépassant le cadre étroit du rap metal, Krack honore le dieu perdu, celui qui pourra, lorsqu’il reviendra parmi nous, détruire les murs de nos espaces claustrophobes. L’album est cru, âpre, aiguisé. Le sang de nos esprits y coule et nourrit l’entité. Cependant, c’est exactement ce qu’il faut pour ressentir, par la violence de cette forme unique de catharsis, un bouillonnement bienfaiteur dans nos veines et nos muscles atrophiés. Beaucoup diront que Verbum Irae n’est pas à mettre entre toutes les mains ; ce qui serait une grave erreur, tant cet opus vicié et obscur se dévoile comme la pièce maîtresse de l’annihilation de nos difformités sociales et humaines.


[Single] Blurry – Octopus

Une atmosphère mystérieuse, aussi limpide qu’étrange. Des sonorités tout droit sorties des tourments cinématographiques de David Lynch, des illustrations sonores de ses derniers éclats et qui, sans conteste, auraient eu leur place dans le Requiem télévisuel que représente l’ultime saison de Twin Peaks. Blurry dessine une pop éthérée, infusée de translucidité et de spectres imaginaires. Mais, plus que tout, elle déclenche en nous des images, laisse paraître devant nos yeux les silhouettes fantomatiques de souvenirs et de sensations omniprésentes, tandis que nous essayons en vain de les cacher. D’arrangements blues en mélodies vocales et chœurs divins, « Octopus » libère ses tentacules autour de nos cerveaux et y instille un inégalable plaisir. Une œuvre purificatrice et salvatrice, dont il est impossible de ne pas savourer le délicieux nectar pour mieux en ressentir les multiples effets.


[Single] Mimesis – Impasse

Beaucoup trop de puristes autoproclamés spécialistes de la musique laissent constamment entendre que classique et électronique sont loin de faire bon ménage. À tort (et nous ne cesserons jamais de le répéter). Face à ces définitions étriquées et irréfléchies, « Impasse » s’impose comme l’adéquation intelligente et bienfaitrice de ces deux courants. Débutant par des harmonies de cordes, le titre se transforme en une extase instrumentale dont la beauté et la complexité feront taire même les plus réfractaires. Chaque transition, chaque accord, chaque harmonie est une apothéose sensorielle de styles dessinés et créés pour se répondre les uns aux autres, au fil d’un ensemble sensible et incroyablement cohérent. Mimesis est parvenu à réconcilier les formes et les usages, voire à les dépasser avec compassion et créativité. Un plaisir impérissable, audacieux et authentique.


[Single] Michel Cacchia – AngelLXVII

Un Ave. Une œuvre religieuse et divine, que Michel Cacchia a conçue comme un psaume musical accompagnant les révélations et prières d’êtres humains unis face à leurs convictions et à leurs aspirations spirituelles. « AngelLXVII » ne cherche à aucun moment à transfigurer ce qui existe déjà ; il est un prolongement de la méditation, de la découverte de ce qui nous porte alors que tout s’effondre autour de nous. Bercé d’atmosphères romantiques et théologiques, le titre se lit tel un verset, une offrande à l’au-delà et à l’être supérieur, sans qu’il ne subsiste de choix dans sa représentation ou dans la façon dont nous le ressentons. Une pause bienvenue et immémorielle dans le tumulte du quotidien.


[Clip] WarField – Kayanm

« Kayanm » est une procession vers la découverte de ses origines. Une adéquation culturelle et humaine avec soi, s’inspirant de traditions millénaires et d’un choc bienfaiteur des civilisations. Jamais nous n’aurions imaginé que l’une des plus impressionnantes et nécessaires déclinaisons du metal moderne viendrait de l’île de la Réunion ; pourtant, WarField crée une adéquation parfaite entre modernisme et Histoire, entre impulsions héréditaires et percussions instrumentales et vocales. Le résultat est, au-delà de la découverte, une expérience qu’il convient de vivre pleinement, de scruter dans ses moindres plans et arrangements afin d’effacer la frontière persistante entre ce qui a été et ce qui sera. « Kayanm » défie les lois du savoir et écrit les pages d’un avenir artistique dont le discours s’étend par-delà les frontières et les connaissances.