[Groover Time #19] Loa Frida, VÆV, Münchhausen, Vincent Prémel, ArchiPol, Kingdom All Stars, Reina Subramanian, Bil&Gin et Bye Parula

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By Raphaël DUPREZ

[Clip] Loa Frida – (compulsively) Empty

Rien ne semble pouvoir rassasier Loa Frida dans ses évocations de la consommation à outrance de « (compulsively) Empty ». Une forme à la fois insatiable et inassouvie de l’ingurgitation, qu’elle soit physique, médiatique ou émotionnelle. Le lien affectif et amoureux se voit illustré tel un produit qui, s’il n’est pas avalé et assimilé par l’organisme dans l’urgence, ne pourra jamais satisfaire celle qui l’évoque ici. Au fil d’images répétitives et floues, de pellicules et de reels aussi usés que la psyché de son interprète, « (compulsively) Empty » fouille les restes de l’impossible, de cette complémentarité apparemment inapte au bénéfice de l’offrande qui lui est amenée. Brûler les sentiments comme les calories de repas trop riches et aptes à mener à l’indigestion. Mais, quand tout agit comme une drogue ou un manque, comment les choses pourraient-elles se dérouler autrement ?


[EP] VÆV – Malcontent

En découvrant Malcontent, il est quasiment impossible d’affirmer haut et fort que ce concentré de rock froid et hypnotique est issu de l’âme d’un seul homme. Pourtant, cette œuvre aux confins de la névrose et de la dépossession de soi a été extraite de l’esprit embrasé du multi-instrumentiste franco-algérien Mehdi Messouci. Sous le nom mystérieux de VÆV, le compositeur explore les déserts urbains de cités étouffantes, les délabrements humains de l’être perdu entre les immeubles et les émanations polluées de villes anonymes. Abrasif sans oublier de contenir, sous ses couches de cendres encore fumantes, une mélancolie à fleur de peau, Malcontent laisse surgir les effluves d’une essence à même de détruire pour mieux rebâtir. Les sublimes progressions instrumentales et vocales de cet opus hybride en font une sculpture sonore à la fois magnifique et tragique, imbibée de désespoir et d’un furieux désir de retrouver, si cela est encore possible, la lumière par-delà les nuages pollués d’un ciel à l’agonie.


[EP] Münchhausen – Li(f)e

Rarement, le rock aura été aussi tendu et proche de la schizophrénie qu’à travers les trois chapitres de Li(f)e. Tandis que l’auditeur s’installe dans le confort d’abord doux et sensible de son entrée en matière, il ressent rapidement une oppression, un besoin viscéral de voir la bulle éclater, exploser. Que ce soit dans la voix ou grâce à des changements instrumentaux prêts à souffler un vent lourd et dévastateur sur nos esprits, Münchhausen se donne le temps de poser ses affirmations et ses tensions. Puis leur donne carte blanche, afin de dépasser les apparences et de réduire en poussière les murs de la bienséance. Li(f)e porte de ce fait parfaitement son nom : une vie au bord du mensonge, de réflexions prémâchées auxquelles il nous faudrait aveuglément obéir. Manque de chance : Münchhausen voit au-delà du miroir, et ne se prive pas de le briser en mille éclats révélateurs.


[Clip] Vincent Prémel – Petite étoile

Ne jamais savoir où l’on va, ni ce qui nous attend. Chercher assidûment l’inconnu, l’invisible prêt à se concrétiser, par la surprise et le partage. « Petite étoile » guide, depuis des années, Vincent Prémel. Vagabond d’une chanson française prenant sens à travers les actions et rencontres de celui qui la fait siennes, cette promenade à ses côtés a tout d’une vocation en devenir. La nôtre. Car « Petite étoile » éveille ce qui sommeille en nous, ces ambitions d’aventures humaines vers lesquelles nous n’osons jamais tendre, avancer. Et, par-delà les mers et les craintes, il y a l’ancre provisoire d’une escale. D’un point de chute prêt à graver les sillons et emplir les pages du journal intime qu’écrit pour nous Vincent Prémel. Une vie, sa vie, nos vies.


[Clip] ArchiPol – L’amour vache

Enfin, l’amour tel qu’il est. Ou, du moins, tel qu’il se manifeste dans 99% des cas. Les fausses joies, l’engouement provoqué par l’excitation neurologique, par l’attraction humaine et animale. Étape par étape, ArchiPol explore les élucubrations sensorielles de nos libidos et de nos désirs enfouis, enfin capables d’exploser au grand jour. Seulement voilà : rien n’est acquis, et certainement pas l’idéal qui, au lieu de nous inspirer, nous étouffe. Une chorégraphie du plaisir fugace et de l’exaltation rapidement rattrapés par une forme d’égoïsme que l’on n’avait pas vue venir. « L’amour vache », ce révoltant et habituel emportement, a encore de grandes heures devant lui. Heureusement qu’ArchiPol est là pour nous le rappeler, dans un déferlement d’images et de scènes alliant l’attirance et la répulsion, chacune se transformant en vignette d’un texte soigné et ô combien réaliste. Rêver, oui. Durer ? C’est une autre histoire.


[Clip] Kingdom All Stars – Willoughby Nights

« Willoughby Nights » s’orne de photographies dont la beauté et l’innocence nous amènent immanquablement à la contemplation, puis au désir de nous retrouver là, en toute sérénité, aux côtés de Kingdom All Stars. Loin de n’être qu’une chanson en hommage au lieu visité et savouré, le titre fait montre d’une écriture à même de transfigurer les décors, les crépuscules, les instants qui le traversent. La douceur de la musique s’éloigne intelligemment du cliché plus qu’usé de l’ode à la nature et à l’amitié. Plus que tout, il demeure une terre de réconfort, de retrouvailles et de réappropriation de soi. Ce qui prouve, sans difficulté, que Kingdom All Stars sait parfaitement transmettre le fil de pensées et d’inspirations dont, c’est certain, nous parlerons pendant de nombreuses années.


[EP] Reina Subramanian – hearstrings

La musique de Reina Subramanian vient de son âme plus que de ses influences. En effet, la compositrice prend le temps qui lui est nécessaire afin de laisser infuser des mélodies pop et soul d’une extrême douceur, sans oublier d’ancrer son écriture au plus près des relations parfois innocentes, parfois âpres de la jeunesse. Faisant montre d’une incroyable maturité, heartstrings aime aller droit à l’essentiel, sans arrangement inutile ou exploration sonore capable de nuire à son immédiateté. Il en résulte une œuvre où la foi en soi-même et l’accueil bienveillant d’humains en peine prennent un sens toujours plus accru et subtil. Ouverte et entière, Reina Subramanian transforme le plaisir inspiré par son regard des êtres et du monde en une véritable révélation.


[Clip] Bil&Gin – Berlin (City Stop)

En quelques titres dont la diversité s’inscrit pleinement dans les villes qu’ils explorent, les deux têtes pensantes de Bil&Gin ne cessent de révéler, à ceux qui n’ont pas connu leurs sujets tandis que les événements les plus importants s’y produisaient, la vérité et l’atmosphère régnant au-delà des apparences et des clubs anonymes. « Berlin (City Stop) » se mue en une œuvre musicale dont l’impact culturel et politique ne peut que s’emparer du spectateur-auditeur : de la chute du mur à la découverte du libéralisme, du choc des blocs à la dissolution d’un lieu si longtemps divisé, la quête sonore s’imprègne de tonalités définitivement reliées à la capitale allemande, à ses beats révolutionnaires et à l’indépendance que tout ce tumulte n’a jamais cessé de rechercher. Bil&Gin ancre ainsi sa liberté d’expression au cœur même de l’Histoire, de ses déviances comme de ses heures vouées à l’éternité.


[LP] Bye Parula – I

I n’est rien de moins qu’une éminente exploration de l’univers musical total. La réappropriation de sensations fortes, qu’elle se présentent sous des vents tempétueux ou à travers des aspects plus doux et sensitifs. Bye Parula démontre une profonde et intelligente culture sonore, dépassant le cadre si fermé de styles prédéfinis afin de les accueillir dans une écriture qui lui est propre. En résulte une œuvre aux multiples facettes, mais constamment ancrée dans l’émotion brute. De la mélancolie à la fureur, de la détresse à l’affirmation de soi, I s’étend sur dix étapes d’un tumultueux périple, où les cordes se heurtent à la saturation tandis que l’acoustique vient provoquer l’électrique. La composition est parfaite, le soin porté aux mélodies vocales et aux arrangements instrumentaux ne cessant de révéler de nouveaux indices au fur et à mesure des écoutes, qu’il va falloir nombreuses pour explorer les secrets de ce que l’on peut considérer, sans aucune exagération, comme un monolithe artistique destiné à demeurer longtemps parmi nos albums favoris.