[Groover Time #42] Amorphous Nature, Andreana Christakakis, Vermin & The BeachRat, Lorenzo Cortés, Emily Nicole Green, Brina / La Siepe, Moro H, The Badly Behaved et Friday Dies

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By Raphaël DUPREZ

[Single] Amorphous Nature – Beneath the Surface

Imaginez l’obscurité totale. La solitude, tandis que l’océan s’étend tout autour de vous. Rien ne vous laisse entrevoir ce qui évolue juste en-dessous, dans le noir. Maintenant, concentrez-vous sur « Beneath the Surface ». Où que vous soyez, dorénavant, même en sécurité, rien ni personne ne pourra vous venir en aide. Amorphous Nature crée la bande-son d’un cauchemar en devenir, d’une menace sous-jacente et prête à surgir, lorsque vous vous y attendrez le moins. La complexité instrumentale et lyrique du single est étouffante, angoissante. Mais sa puissance décuple sans effort votre imagination. Vous êtes ici, maintenant. Entre les mains glacées d’Amorphous Nature.


[Single] Andreana Christakakis – Lit

Si l’on ôte toute velléité religieuse à l’écoute de « Lit », force est de constater que le titre fonctionne à la perfection dans sa performance à la fois mystique, menaçante et en quête de lumière. D’une voix monocorde évoquant ses psaumes et incantations bénéfiques, tout en demeurant dans l’obscurité, à une instrumentation minimaliste et mystérieuse, Andreana Christakakis dessine le conflit humain constant entre bien et mal, entre volonté d’aider son prochain et tentation de l’écraser ou de l’ignorer. « Lit » maintient cette tension palpable liant les deux opposés, afin d’amener notre esprit vers ce qui lui semble le plus à même de lui correspondre. Un choix édifiant mais nécessaire.


[Single] Vermin & The Beachrat – Dinner by Candlelight

Nous revoici en présence de Vermin & The Beachrat, quelques mois après son évocation douce-amère des fêtes de fin d’année, de leurs passions autant que de leurs excès. Aujourd’hui, nous sommes conviés à la tendresse suggestive de « Dinner by Candlelight », chanson plus sincère et juste que son éminente prédécesseure, sans pour autant oublier ce qui fait la force du projet : la voix. Celle-là même qui, en quelques secondes, peut transformer un moment de grâce sentimentale en immersion dans une réalité plus intense et palpable. « Dinner by Candlelight » se veut cajoleur et aimant, mais n’oublie à aucun moment de résister à la tentation de trop en dévoiler. Chacun sera alors libre de le vivre à sa façon, en solitaire ou à deux.


[LP] Lorenzo Cortés – Panoramas IV

En explorant les multiples univers musicaux dont il aime extraire ses plus ardentes inspirations, Lorenzo Cortés donne vie à un art instrumental et parfois vocal s’imprégnant d’imaginaires différents et incroyablement complémentaires. Ne quittant jamais cet objectif premier, Panoramas IV est un magnifique éloge à la beauté, qu’elle soit accompagnée de cordes aussi douces qu’énergiques ou de chants intimes et angéliques. L’opus aime se contredire dans ses ambitions, et c’est exactement ce qui le rend unique. Mariant les contraires et les laissant évoluer au fil de sa créativité, Panoramas IV est un lieu reposant et propice à l’amplification de notre imaginaire, tandis que Lorenzo Cortés veille affectueusement sur nous.


[Single] Emily Nicole Green – Wreckage

Tandis que « It’s Gonna Be Okay » faisait montre d’une immense tendresse et d’une intense affection, « Wreckage » se place de l’autre côté de la barrière. Là où les sentiments se fanent et la colère gronde, sans pour autant s’exprimer de manière trop violente ou impulsive. Emily Nicole Green écrit les pages d’une lettre destinée à refléter chacune de nos souffrances lorsque la fin de la relation arrive et que les reproches nous oppressent. Infusant son écriture au creux d’harmonies folk et jazz, la compositrice laisse, lentement mais sûrement, exploser tout ce qu’elle retient depuis trop longtemps grâce à une implacable lucidité. Dès lors, « Wreckage » transforme l’épave émotionnelle en bouée de sauvetage, celle-là même à laquelle nous pouvons enfin nous raccrocher lorsque tout semble à jamais fissuré et perdu.


[EP] Brina / La Siepe – Split

Focalisons-nous tout d’abord sur « Bloodhail », ouverture puissante et versatile de ce Split EP entre Brina et La Siepe. L’œuvre des premiers a le mérite de s’établir tel une entrée en matière venue de nulle part, tant il est impossible de la définir par un style trop particulier ou réducteur. Au fur et à mesure de son évolution, « Bloodhail » charrie autant de pulsions post-rock que de tendances jazz, avant de s’achever via un final d’une rare force émotionnelle. Grâce à sa production tour-à-tour vorace et tendre, le titre synthétise, en moins de cinq minutes, les essences multiples de phénomènes rock vocaux et instrumentaux prenant soudainement des allures volcaniques. À la suite d’un tel dévouement, on regrette simplement que La Siepe n’ait pas tenté de dépoussiérer plus dangereusement leur cover des Pixies, bien que le résultat face montre d’une acidité apte à nous ronger l’esprit. Surtout lorsque l’on connaît le potentiel du groupe, que nous ne pouvons que trop vous conseiller de découvrir dès maintenant.


[Clip] Moro H – Secret

Tout fait une vie, même le pire. Les trahisons, la pauvreté, le mépris, le rejet. Tandis que le hip-hop a souvent tendance à sombrer dans la redite ou la facilité, Moro H préfère prendre les choses à rebours. « Secret » sonne ainsi autant comme une fin en soi que tel un commencement. De ses constats imprimés sur un canevas instrumental éthéré et mouvant, l’homme se crée en même temps qu’il se frappe la poitrine devant les faiblesses qu’il combat. Peu avant le refrain, les battements provoquent un démarrage, une foulée que Moro H va pleinement embrasser. Courir pour ne plus fuir. Être, tout simplement. La narration, implacable et scrupuleuse, ne se montre jamais désespérée ou défaitiste. En agissant ainsi sur le fil de son existence et sur les boucles que celle-ci a parfois entremêlées, il fixe l’antérieur avant de se confronter au futur. Personne ne pourra affirmer qu’aucune erreur ne se reproduira, comme c’est le cas pour nous toutes et tous. Mais Moro H sait qui il est et aspire à devenir. Et motive, au plus profond de nos craintes et désillusions, une soudaine et bienfaitrice éruption.


[Clip] The Badly Behaved – Who Am I?

Problème existentiel pour les uns, choix irréversible pour les autres : qui sommes-nous à partir du moment où notre essence ne nous appartient plus ? « Who Am I? » ne se contente pas d’interroger le spectateur sur la célébrité, ses joies ou ses revers ; il est évident que, pour The Badly Behaved, cela concerne chacune et chacun d’entre nous. L’intelligence du titre réside dans son mélange de sonorités synthétiques dansantes, véritables racines d’une explosion médiatique et virtuelle annoncée, et d’un chant beaucoup plus vif et expressif au fil de ses mélodies et constats. Le résultat est un chef-d’œuvre d’électro-pop interrogateur et précis, ne dissimulant jamais ses doutes et prises de conscience. À ce titre, l’emballement visuel de la dernière partie du clip devient tellement stroboscopique qu’il pourrait nous pousser immanquablement à ressentir une saturation cependant bienvenue. Car, si nous sommes par le prisme de l’écran, nous pouvons tout aussi bien disparaître, à l’image des nombreuses victimes innocentes d’une forme effrayante de sacro-sainte gloire.


[Single] Friday Dies – Wizards and witches

Alors que Friday Dies travaille actuellement sur de nouvelles compositions et s’offre, pour l’occasion, des moyens de production beaucoup plus conséquents que sur ses précédentes créations, il est important de nous focaliser sur ses aventures antérieures, introductions idéales à l’univers foisonnant du projet américain. À ce titre, « Wizards and witches » démontre sa capacité à explorer de nombreuses ramifications du metal, que ce soit lors de son ascension au début des 80’s ou, aujourd’hui, au gré de ses multiples mouvances. « Wizards and witches » se plaît à dépasser les limites du heavy et du punk, tout en respectant leurs codes et ambitions. Le résultat et une petite merveille à la fois nostalgique et ancrée dans son époque, ce qui n’augure que du bon pour les mois à venir et accorde dès maintenant tout notre indéfectible soutien à Friday Dies.