[Groover Time #41] The Ashtrays, Connecting Pieces, Jude Edwin-scott, Colbhi, Linka Moja, jeanthiebo, CØLDSTAR, Christian Dréa et Fantine

Photo of author

By Raphaël DUPREZ

[EP] The Ashtrays – My Name is Jane

Un premier EP qui a tout du coup de génie (et encore, nous pesons nos mots). Les minutes introductives de My Name is Jane instaurent un climat au sein duquel la communication sera maîtresse de toute chose ; y compris de sa propre absence. Présentant son héroïne luttant pour atteindre, par un intermédiaire téléphonique d’un autre temps, l’être aimé et bientôt quitté, The Ashtrays initie son opus au moyen d’une conclusion demandant forcément quelques explications. Celles-là mêmes que nous obtiendrons grâce aux quatre chansons suivantes, véritables explorations rock aussi mouvementées (« Alcoholic ») que mélancoliques, lorsque les chœurs viennent bouleverser la psyché de cette femme dont nous admirons et la sincérité, et la force qu’elle extirpe, dans la douleur, de ses faiblesses (« Senseless »). Du fantasme à la cruelle réalité, de l’espérance d’une vie sur papier glacé à la fracassante prise de conscience de son impossibilité, My Name is Jane est le récit électrisant et poignant d’une humanité qui, au cœur de ses réflexions et expressions sonores, ne se montre décidément pas si éloignée de la nôtre.


[EP] Connecting Pieces – Reconnecting

À première vue, Reconnecting semble parti pour marcher sur les traces d’une certaine idée du hard rock 80’s, sans essayer de prendre le moindre risque. Mais plus le disque avance, plus l’ambiance se modifie et se modernise. De son introduction mêlant habilement new wave et électro à la création de riffs dont le potentiel va crescendo (« Come Home With Me Baby »), Connecting Pieces se plaît à se fondre dans la masse tout en parvenant, à la sueur de son front, à s’en extirper sans aucune difficulté, notamment grâce à quelques covers remises au goût du jour et que nous vous laissons le plaisir, coupable ou non, de découvrir par vous-mêmes. Regardant droit devant tout en n’oubliant pas d’où il vient, l’EP bouleverse sciemment sa vision du hard rock et du metal, et ce, de fort belle manière.


[LP] Jude Edwin-Scott – Rambling Rose

Changer d’air. Saisir son sac à dos et partir pour se réinventer, se retrouver. Laisser renaître l’inspiration et l’envie d’écrire, de chanter. Rambling Rose permet à Jude Edwin-Scott d’embrasser, avec tendresse et affection, un folk cherchant constamment à dépasser ses limites. Les sonorités de guitares se font à la fois justes et tendres, demeurant constamment ancrées autour de la voix et de la narration d’un poète ayant refondé ses propres connaissances et acquis. Ce qui offre à l’album un mouvement doux et constant, une ascension vers les sommets lumineux et sensibles d’un songwriting en pleine possession de ses moyens. Une petite merveille emplie de dévotion et de sincérité, exposée en totale confidence à nos regards émerveillés.


[LP] Colbhi – Gigantografia di piccoli sospiri

Certains auditeurs francophones se sentiront assurément perdus du fait de paroles chantées en italien et risqueront, de ce fait, de passer à côté d’un disque ne demandant qu’à être constamment approfondi et assimilé. Gigantografia di piccoli sospiri se permet de rechercher ses multiples essences dans des styles en apparence opposés, que ce soit à travers un rock doux et empli de magie ou grâce à des arrangements et progressions mélodiques se parant d’éléments électroniques aussi essentiels que subtils. Tandis que la grande majorité de la production transalpine franchissant nos frontières n’est que la partie émergée de l’iceberg, Colbhi nous invite à découvrir la puissance narrative et harmonique se dissimulant sous la surface et se montrant rapidement apte à rivaliser avec bon nombre d’opus anglo-saxons. Gigantografia di piccoli sospiri est une merveille à la fois sombre et éclairée. La lueur à peine visible d’une bougie au bout du tunnel, tandis que nous sentons notre corps se mettre en mouvement et prenons conscience que, quoi qu’il arrive, nous la rejoindrons.


[EP] Linka Moja – Cough Drops (Live Cuts)

Savoir saisir l’opportunité sans jamais craindre les réactions de celles et ceux, amis ou public, qui viendront découvrir votre potentiel. Défiant la peur avec une sagesse et une volonté de tous les instants, Linka Moja n’a pas hésité à attraper sa guitare afin de donner naissance à Cough Drops (Live Cuts), un EP dont les atmosphères détendues puis sulfureuses s’enchaînent avec plénitude et bienveillance. L’écriture de la compositrice, sa façon d’ancrer le chant au plus profond de créations sur le fil achèvent de nous faire comprendre que nous sommes face à l’une des relèves les plus excitantes du songwriting contemporain. Car Linka Moja a parfaitement compris et embrassé le rôle qui était le sien : remercier les artistes qu’elle cite parmi ses influences, tout en dépassant les limites stylistiques. Son premier album arrive dans peu de temps ; autant dire que nous serons là pour l’accueillir avec tous les honneurs qu’il mérite d’ores et déjà.


[LP] jeanthiebo – O mon coeur, pourquoi ce battement ?

Se risquer à un album sur lequel n’apparaîtront que le piano et la voix. Chercher, par tous les moyens, à unir la poésie de deux instruments organiques. Créer l’osmose, le dialogue. O mon coeur, pourquoi ce battement ? est avant tout la question essentielle que se pose jeanthiebo avant de donner vie et corps à son opus. Collection de secondes durant lesquelles la pulsation cardiaque s’amplifie, marquée par l’émotion forte et la perte psychique et physique de nos moyens. Nous y trouvons du blues, de la pop, du jazz. Des styles happés et domptés par l’écrivain, tandis qu’il s’acharne à corps perdu afin de comprendre la sensation et son impact. De thèmes universels en narrations intimes, O mon coeur, pourquoi ce battement ? voit défiler les paysages sensoriels et les capture, au gré de photographies musicales et lyriques sages et réconfortantes. Une mélancolie de la catharsis dont il nous est dorénavant impossible de nous éloigner.


[Clip] CØLDSTAR – When Night Falls

Unir les créatures de la nuit. Les laisser savourer la quiétude du silence et s’imprégner des mouvements stellaires. « When Night Falls » : une bande-son emplie d’admiration et de puissances électroniques extraterrestres. CØLDSTAR n’essaiera à aucun moment de dévier de son objectif : recentrer, grâce à la musique, les mystères du crépuscule et de l’espace à travers les effets qu’ils provoquent en nous. Ce voyage intérieur appelé à devenir intergalactique, cette éminence harmonique dont les impulsions et la gravité se font soudainement légères et bienveillantes, distinguent l’art du duo d’influences trop rapidement évoquées. « When Night Falls » est un poème astral. Un voyage aux bords de trous noirs existentiels et de planètes naissant sous nos yeux, grâce à nous et en nous.


[LP] Christian Dréa – Surya

Il serait beaucoup trop facile de résumer l’importance de Surya en qualifiant ce magnifique album d’énième tentative new age. En effet, l’opus de Christian Dréa dépasse cette définition souvent aisée en se focalisant sur le mouvement et l’importance de chaque détail, de chaque arrangement dans la cohésion de ses chapitres et de son ensemble. De moments célestes en tensions chorales et électroniques, Surya illumine un ciel harmonique menaçant et aide l’astre solaire à le traverser pour mieux le transfigurer. Durant l’heure et quart de son voyage instrumental, Christian Dréa explore les sons et les ambiances afin de les comprendre, de les apprivoiser et de les écrire, en toute humilité et sensibilité, sur la page mouvante de la voûte céleste. Une exposition sensorielle et émouvante de la grâce et de la beauté, tandis que ces deux dernières viennent cruellement à nous manquer.


[EP] Fantine – God at Project

« Un disque de musiques d’illustrations ». Définition étrange et qui, évidemment, demande à être découverte et approfondie. Et c’est bel et bien de cela qu’il s’agit, voire plus encore, tant l’art de Fantine revêt aussi bien des atours personnels qu’éminemment cinématographiques. God at Project pourrait être employé tel la bande originale d’une succession de courts-métrages et documentaires, mais également comme l’accompagnement précieux et mouvant de nos lectures ou instants d’inspiration. Alliant les charmes de sonorités culturelles variées aux fréquences électroniques, la compositrice voyage et s’imprègne de connaissances antédiluviennes et éternelles. Diction émotionnelle de styles universels, God at Project contemple l’œuvre divine et la fait sienne, grâce à une acuité et une modernité qui, alors que nous les explorons toujours plus, ne cessent de susciter notre totale admiration et notre dévotion d’ores et déjà acquise.