[Groover Time #39] Kiss The Gunner’s Daughter, Bad Rabbit, Dre Carlan, Naomi Yeivin, Roza, MAJORA, Bromsen, Massimo Vaccaro et Eeem [Eim]

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By Raphaël DUPREZ

[Single] Kiss The Gunner’s Daughter – SMILE

Sans aucun doute, le meilleur moyen d’affirmer la nécessité d’une libération intérieure de toutes nos impatiences et frustrations. « SMILE » (les majuscules sont indispensables) commence par l’évocation implacable de notre lutte quotidienne contre les démons de la passivité et de l’enfermement sur nous-mêmes. La puissance instrumentale du nouveau single de Kiss The Gunner’s Daughter est essentielle au propos du groupe ; sans elle, aucune issue n’est possible. Les chants clairs déploient les arguments et les névroses, avant que l’éruption sonore ne vienne perturber toutes nos introversions et leurs vapeurs empoisonnées. Sans l’exutoire que représente « SMILE », nous aurions d’ores et déjà sombré au plus profond de la démence ou du mutisme. Même si nous ne sommes pas à l’abri d’exposer aux autres un rictus effrayant, reflétant notre plongée irréversible dans la folie. Espérons qu’il ne soit pas trop tard…


[Single] Bad Rabbit – Skellig Symphonette (Instrumental Version)

Alors que les photographies immortalisent un instant précis, la représentation musicale d’un lieu prédéfini se doit d’en explorer les mouvements, qu’ils soient célestes, terrestres ou maritimes. Afin de parvenir à un tel résultat, Bad Rabbit se focalise non pas uniquement sur les îles Skellig, mais bel et bien aux côtés de leurs habitants et les regards que ces derniers posent sur leur magnifique havre de paix. « Skellig Symphonette » est une forme nouvelle de l’art progressif. La quintessence de mélodies et d’instrumentations orientées vers la magie et l’influence spirituelle de l’élément géographique. L’œuvre de Bad Rabbit allie à la perfection majesté et intimité, le long de sept minutes durant lesquelles, lorsque nous fermons les yeux, nous sommes projetés au cœur de l’archipel irlandais. De son effervescence autant que de la douceur de son accueil. De la sagesse éternelle d’un épicentre spirituel nous marquant à jamais, en plus de nous attirer toujours plus vers ses mille et une merveilles.


[Single] Dre Carlan – Naturally Trippy

Le monde moderne nous expose à la tentation d’échappatoires nécessaires auxquelles de nombreuses substances, légales ou non, nous invitent. Tandis qu’il devient de plus en plus facile d’y accéder et de s’y réfugier, Dre Carlan pose, avec  »Naturally Trippy », une question essentielle : en avons-nous réellement besoin ? Par ses vagues synthétiques et une narration dont les arguments sont aussi intimes qu’imparables, le single déploie ses ruses et révélations avec une redoutable sincérité. Dre Carlan nous rappelle alors que notre cerveau est capable de tout ; même de nous immerger dans un état second où nous pouvons oublier les tourments du dehors et amplifier notre imaginaire. Dans ce but précis, « Naturally Trippy » est un guide unique en son genre, véritable injection psychique de l’art comme exutoire neuronal et mental. Un souffle chaud et réconfortant, sans autre effet secondaire que le plaisir immédiat et à long terme.


[Clip] Naomi Yeivin – La vieillesse

La musique résonne telle un disque du passé. Le son de microsillons venant peu à peu se confondre aux rides des visages, aux maquillages et à l’embellissement de nos héroïnes. « La vieillesse » : fatalité pour les uns, libération pour les autres. Dans le cas de Naomi Yeivin, son regard bienveillant et d’un réalisme troublant n’essaie jamais de s’éloigner de son sujet, narrant avec franchise et intensité les effets et conséquences autant que les souvenirs et sentiments. « La vieillesse » introduit de funestes vérités, puis les tourne en faveur d’une acceptation toujours plus naturelle et spontanée. Les échos instrumentaux et vocaux nous ancrent tant dans les époques révolues de notre histoire qu’au plus profond de ce que nous sommes, ici et maintenant. La grâce de la mise en scène, sa beauté et sa tendresse infusent une affection de tous les instants. Un cadre idyllique pour les mots forts et subtils de Naomi Yeivin. Est-ce un mal ? Doit-on craindre les jours qui s’effacent et l’avenir qui s’amenuise ? Il n’y a aucune réponse à apporter. Simplement, exister pleinement en compagnie de nos proches, de nos songes et de nos démons. Les accueillir pour mieux nous offrir, corps et âme, à l’intemporalité et à l’éternité.


[LP] Roza – Système Ouvert

Laisser le flot de la vie couler lentement. Le regarder se frotter aux pierres qui, le long de son parcours, sont autant d’obstacles naturels et humains en apparence infranchissables. Système Ouvert. Le corps et l’environnement ne font qu’un en s’accueillant l’un l’autre. Roza condense, grâce à son art, les cultures et croyances du monde entier. Par sa voix, elle ose les explorer, puis les exposer. Lorsque la poésie vient doucement caresser les fissures existentielles et emplir les gouffres abyssaux de la déconstruction planétaire, l’œuvre devient autre. Le murmure des vents et le cris des éléments. Le rythme de cérémonies ancestrales et le mariage de la compositrice avec ces passions millénaires et les espérances et inquiétudes que nous leur accordons, maintenant et pour les années à venir. D’une émouvante clarté et d’une bouleversante clairvoyance, Système Ouvert éclot puis diffuse les arômes et pollens de la renaissance. D’une espérance trop vite enfermée dans la cellule terrestre dont nous avons tendance à souvent détourner le regard. Roza, elle, y plonge le sien afin de donner naissance à un reflet toujours plus beau et resplendissant. Et raconte, par ses chansons, l’incomparable complémentarité de la matière et de l’âme.


[Clip] MAJORA – Sumire

Il est possible, pour peu que l’on se mette en quête de sa signification, de donner une multitude de définitions et d’interprétations au mot « Sumire ». Partant de ce mystère, MAJORA livre sa propre vision : celle d’une passion à la fois dévorante et dévouée, d’un lien immuable entre les êtres. Les chorégraphies éclatantes et les mélodies solaires du clip et de sa chanson offrent un moment d’égarement, un repos sage et bienveillant que chacune et chacun de nous accueille avec humilité et respect. De cette tendresse à fleur de peau, MAJORA laisse exulter les douceurs sensuelles et caressantes d’une poésie n’essayant jamais d’amplifier inutilement la saveur de l’instant présent. « Sumire ». Sourire, émouvoir, admirer. Une nécessité croissante, au fil d’une œuvre juste dont et la jouissance est aussi soudaine qu’immortelle.


[Clip] Bromsen – Read About It

Jusqu’où peut aller la dévotion de l’artiste à ses créations et à leur partage ? Comment se positionner face à la réception du public et à l’utilisation abusive des œuvres ? « Read About It » est aussi vif et fédérateur que réaliste dans sa conception du spectacle visuel et sonore. Bromsen y insuffle un respect de tous les instants pour ses pairs et, en même temps, n’oublie jamais de gratter sous la surface afin de voir ce qui peut bien s’y dissimuler. De larmes de joie en invasions colériques intérieures, du don total à la brûlure de la gloire, « Read About It » dresse les constats et renforce toujours plus le rapport entre la scène et les fans, entre les êtres pétris d’intarissables intentions et les dangers qui ne cessent de les guetter. La narration utile et émouvante d’un rôle exigeant une énergie et une volonté sans faille pour mieux en savourer les extases et lutter contre les déceptions et influences nocives.


[Single] Massimo Vaccaro – Mom & Dad

À l’origine, « Mom & Dad » a été conçu, d’après Massimo Vaccaro, comme une musique accompagnant les séances de yoga dont il est le maître. Mais, en l’écoutant plus intensément, le titre s’étend au-delà de la sérénité acquise grâce à sa bienveillance et à ses offrandes. Guitares et chœurs s’unissent en un chant terrestre bouleversant les frontières et les peuples, tout en les attirant vers un lieu hors de l’espace et du temps. L’ensemble ne nécessite aucun rythme et se satisfait du dialogue renoué entre la voix et l’instrument, entre l’interprétation et la transmission d’une connaissance plus spirituelle qu’intellectuelle. Dès lors, « Mom & Dad » fond deux sources primaires en une seule et même incarnation vivante, motivant ainsi notre psyché et nos systèmes sanguins et immunitaires. Un remède réconfortant et régénérateur.


[LP] Eeem [Eim] – Fragments

Un vaisseau en perdition. Autour de lui, l’univers demeure en mouvement constant et semble veiller à ce qu’il ne s’égare pas. À la survie de sa technologie et de son équipage. Fragments conte les chapitres et lentes évolutions d’une mission spatiale avortée, d’un dernier éclat dans l’immensité. Au fil de ses six compositions, Eeem [Eim] construit les vagues de son art ambient comme autant de phénomènes stellaires que l’œil humain contemple pour la première fois. Une sérénité accueillante, rassurante. L’opus intègre alors des émanations vocales spectrales et des monologues de circuits imprimés cherchant leurs ultimes repères afin de ne pas céder au vide. Une galaxie prend forme devant nos yeux, avant de nous attirer inexorablement vers elle. La naissance d’un système que personne n’avait jamais observé.