[Groover Time #31] LOMNOUVO, Yann Siglell, Alba, Maxime Guyader, UNNIMA, Julia Sound, Find Karla, Jim Ballon et Moli

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By Raphaël DUPREZ

[Clip] LOMNOUVO – La clameur des foules

Dans une vertigineuse succession de tableaux mouvants, « La clameur des foules » nous met face aux rebuts d’une société bien trop lisse et hâtive au jugement pour les comprendre. LOMNOUVO prolonge son exploration de l’unicité, de ce qui fait de nous des êtres entiers et à part, mais pourtant capables de porter les autres vers des sommets jusqu’alors inatteignables. Berceuse dont les foudres s’abattent et amplifient l’effet sur les esprits étiquetés comme différents, la chanson regarde errer les âmes perdues, ces créatures pourtant tellement précieuses à notre existence. « La clameur des foules » s’imprègne alors d’autant de tristesse que de colère. La première, digne mais pesante, des marionnettes désincarnées par les apostrophes des ignorants ; la seconde, porte-voix futile et incomplet de celles ceux qui, sans réfléchir, abusent d’une autorité aisément démantelée. Laissons les fous crier, et rejoignons-les une fois les derniers accords éteints.


[EP] Yann Siglell – Juste Moyen

Des figures que nous croisons dans la rue sans nous retourner vers elles. Des êtres comme les autres, perdus dans l’infinité humaine d’une cité hyperactive. Mais, entre les mains de Yann Siglell, ces personnes deviennent quelqu’un, existent et voient leurs traits de caractère magnifiquement et justement exposés. L’écriture est sincère, immédiate. Ne cherchant jamais à embellir par de vains décorums sa poésie de l’ordinaire, l’artiste inscrit ses œuvres dans une émouvante acuité. Juste Moyen : ces femmes et ces hommes en apparence identiques à leurs semblables et qui, le temps de quelques précieuses minutes, se détachent du marasme. Un opus teinté d’humour, d’amour et de spleen, transmettant à l’auditeur le sentiment ultime d’être, de respirer.


[Clip] Alba – Secrets

En phase avec ses démons, Alba se livre corps et âme grâce à « Secrets », dévouée à une prouesse humaine et spirituelle drôle et ambitieuse. La confidence dans laquelle nous plonge l’artiste est franche, sans détour, directe. Ces non-dits – qui le seront immanquablement tôt ou tard – auraient souvent tendance à submerger les êtres y étant constamment confrontés. Mais au fil des rythmes diaboliques et des aveux de la musicienne, une forme inédite de légèreté et d’acceptation s’installe sans crier gare. La force de « Secrets » est d’illustrer ses tourments psychiques en laissant la chanson se métamorphoser, suivre les circonvolutions des pensées de celle qui, hantée par sa conscience schizophrène, les reçoit avec bienveillance et vérité. Si nous sommes ainsi forgés, pourquoi nous battre ? En quoi est-ce une faiblesse ? Autant de questions auxquelles Alba répond de la plus belle, sage et sensible des façons.


[Single] Maxime Guyader – Night and Day

Une méditation. Un éveil de la conscience sur la supériorité de l’acoustique face au numérique. Les ambitions de Maxime Guyader, en replaçant le piano au centre d’un système artistique souvent surchargé, deviennent réalité grâce à « Night and Day ». Concentré sur son écriture et son interprétation, il laisse éclore la possibilité d’un retournement de situation, d’une révélation à la fois tendre et mélancolique du clavier et des cordes. En deux minutes, « Night and Day » dessine les contours merveilleux et célestes d’une inspiration essentielle, forte et indubitable. L’attraction parfaite vers des cieux plus cléments et attentionnés.


[Clip] UNNIMA – Burn Your Empire

La sensation prégnante d’assister au spectacle d’un culte obscur et inconnu nous frappe de plein fouet à la découverte de « Burn Your Empire ». La réalisation est soignée, impactante. D’effets stroboscopiques en couleurs ternies par les ténèbres mais demeurant constamment fascinantes, focalisant toute notre attention sur l’action et la musique, le court-métrage d’UNNIMA est une sensation surréaliste, issue d’une immensité que nous ne connaissions pas encore. « Burn Your Empire » laisse éclore ses scintillements électroniques et les abysses de basses et de nappes synthétiques enveloppant sa chanteuse avec une science de la narration implacable et sensationnelle. Une œuvre visuelle et sonore comme il en existe peu, imprimant la rétine longtemps après avoir été contemplée et vénérée.


[LP] Julia Sound – Nothing Above The Blue Sky

En apparence, Nothing Above The Blue Sky semble inoffensif : une collection de chansons imprégnées de trip-hop, d’électro et de R’n’B comme il en existe beaucoup. Mais, dès que l’on s’immerge toujours plus profondément dans son essence, le travail de Julia Sound, mené par la compositrice et productrice Lin Gardiner, dévoile ses ambitions et ses constats. Inscrit dans une démarche sociale et écologique nous interrogeant constamment sur le rôle que nous avons à y jouer, le disque varie ses humeurs au gré des erreurs humaines et des conséquences irrémédiables de l’inconscience individuelle et collective. En s’entourant d’artistes dévouées à sa cause, la musicienne embrasse pleinement sa fonction de guide spirituelle, désignant les dysfonctionnements et regardant, vers l’avenir, les meilleurs moyens de parer l’inévitable. Ou quand la douceur artistique revêt son armure la plus solide et combattive.


[Clip] Find Karla – Mary Mary

Le confinement a amplifié notre sensation ambiante de paranoïa. Le doute s’est immiscé en nous, à grands coups d’annonces médiatiques, d’échanges virtuels et de complotisme. « Mary Mary » positionne la femme bousculée par ces attaques au centre d’une œuvre dévoilant la réalité d’une telle situation en plein jour. Traumatisée par l’impact des écrans et les discours ambitieux de personnages autoproclamés spécialistes du genre humain, l’héroïne voit son monde s’effondrer et sa volonté partir en lambeaux. La réalisation alterne moments de douceur brumeuse et chocs visuels toujours plus impactants. Grâce à « Mary Mary », Find Karla et Nicky Spesh pointent du doigt les bourreaux aguerris des victimes faciles que nous sommes pour eux. Et prouvent notre capacité à nous soulever, quoi qu’il arrive.


[EP] Jim Ballon – Loin + Les ondes

Au premier abord, la musique de Jim Ballon semble innocente, nonchalante. Quelques mélodies de guitare, une section rythmique en boucle et soumise à de légères variations, une voix discrète et exprimant ses phrases en totale spontanéité. Mais tout s’enchaîne rapidement et vient contredire ce sentiment originel. Développant ses compositions dans une intelligence marquée par d’admirables velléités psychédéliques et expérimentales, Loin + Les ondes nous offre deux facettes du personnage complexe de Jim Ballon. La première, exposée grâce à quatre titres choraux n’hésitant jamais à emballer la machine afin de laisser place à l’improvisation, pose les bases de la performance scénique de la seconde. « Les ondes » est une démonstration de force, un tourbillon noise mélodique dont les chapitres sont clairement établis et nécessitent, de la part de ses interprètes, une écoute active de tous les instants. Ce qui achève de faire de l’opus un assemblage méticuleux et hybride d’idées créatives pures et bouillonnantes.


[Clip] Moli – It’s not my Fault

« It’s not my Fault » est un Cluedo 70’s à la fois étrange et passionnant. Véritable enquête policière menée tambour battant et portée par les sonorités pop suaves de Moli, le clip se déroule tel un film noir magnifiquement mis en scène. D’indices en soupçons, de trahisons en complicités frauduleuses, « It’s not my Fault » se nourrit d’influences nostalgiques remises au goût du jour et magnifiées par la performance d’acteurs totalement acquis à sa cause. Manipulatrice et exotique, l’œuvre se regarde avec une immuable fascination. Un jeu de dupes et de rôles que Moli transperce de sa voix caressante et sensuelle, tandis que le spectateur sombre peu à peu dans les méandres de ce formidable labyrinthe cinématographique.