[Groover Time #28] Cullen Jack, Nox Atra, Marc Béziat, Wonderland, Anonyme B, Bleu Berline, Aube L, BEBLY et Joe Hoster

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By Raphaël DUPREZ

[Clip] Cullen Jack – Space and Time

Ne jamais avoir peur de sortir de sa zone de confort. S’ouvrir à d’autres horizons, à d’autres interprètes, afin de mettre en avant une écriture pop digne et intense. « Space and Time » est un défini magnifiquement relevé par Cullen Jack. Embrassant pleinement un songwriting dont les émotions sont immédiates et maîtrisées, le compositeur s’illustre d’abord seul en scène, puis accompagné d’un ensemble apte à amplifier les effets déjà confortables du chant et du piano. « Space and Time » se livre, se confie tel un témoignage de ce que l’absence et l’éloignement provoquent en chacune et chacun de nous. Avec humilité et décence, Cullen Jack respecte les choix qui, pour lui, ne sont pourtant pas si évidents. Mais ne faut-il pas passer par ces périodes de perte et de remise en question pour mieux savourer celles qui nous sont destinées ? Dans sa pluralité instrumentale, le monologue devient une ode au monde, aux brusques solitudes et aux espoirs demeurant, contre toute attente, face à nos craintes.


[LP] Nox Atra – Chapitre 1 : Ataraxia

Le désespoir. La colère. La révolte face aux silences du genre humain, à la fausse confidence d’êtres profitant uniquement de nos faiblesses. Chapitre 1 : Ataraxia est une épreuve. Une œuvre où les malformations et les maladies se font reines dans nos âmes meurtries. Où la rage se pare de douceurs froides, obscures. Nox Atra embrasse les ombres et pose ses lèvres sur leurs visages gelés et désincarnés. Au fil de nappes instrumentales quasiment silencieuses et de rythmes spectraux, le disque chasse, brutalise et se venge. De bruits en fureurs, de déliquescences cérébrales en cauchemars éveillés, il est une sculpture mouvante, le fantôme décharné et enfin éveillé de la souffrance ultime. Un venin visqueux, collant à notre peau et à notre âme pour toujours mieux les contaminer et ouvrir nos blessures à vif. Une beauté ténébreuse, un archange déchu veillant, secrètement, sur nous. Et toujours prêt à faire éclater, dans la nuit, la lueur de ses crocs avides.


[Single] Marc Béziat – The Free Movement

Dans la foulée de la ressortie de ses précédentes créations, Marc Béziat inscrit ces éléments du passé au cœur du monde actuel, qu’il soit humain ou social. Sa musique orchestrale soignée et ciselée, dont les mouvements ne cessent de se succéder afin d’offrir un potentiel créatif hors norme, s’inspire aussi bien de bandes originales de films que de travaux plus anciens, lors d’époques durant lesquelles le savant se mêlait à l’émotion. Le temps passé à écrire et composer se ressent chaque seconde, avec une focalisation de tous les instants sur les mélodies et accompagnements. Mais Marc Béziat sait également projeter ses œuvres vers l’avenir ; dès que nous prenons conscience de leur impact intemporel et de leur réalité concrète ici et pour longtemps, elles se métamorphosent en étoiles filantes prêtes à percuter notre astre et à bouleverser l’ordre établi. Choisir 2023 pour réunifier ses sculptures sonores n’est pas un hasard ; Marc Béziat est, et sera, toujours en phase avec ses émotions et l’univers infini.


[Single] Wonderland – Road To Destruction

Saisissant le rock à pleines mains, Wonderland signe un « Road To Destruction » où la crainte de l’annihilation côtoie l’espoir et le sublime. La musique s’ancre dans des élans pop amplifiés par une production puissante et maîtrisée, tandis que l’ensemble oscille entre effervescence et évanescence. Selon le groupe lui-même, « Road To Destruction » est une œuvre sombre ; ce que l’on comprend aisément lorsque ses paroles s’immiscent en nous. Mais elle demeure constamment lumineuse, grâce à l’implication totale de musiciens au centre d’un système nerveux en pleine ébullition. En résulte un travail remarquable et subtil, un hymne à même de fédérer les âmes les plus désespérées et les esprits emplis d’optimisme.


[Clip] Anonyme B – CQVPLA

Sortir. Affronter le regard des autres, la peur. Dans une atmosphère claustrophobe, les êtres humains avancent, tournent la tête, craignent. L’agression, la violence. Il y a tellement de courage dans « CQVPLA ». Tellement d’envie de surmonter l’angoisse, l’anxiété. La mise en scène ne laisse aucun répit. Au fil du noir et blanc, les ombres et figures se succèdent comme autant de potentiels acteurs de mouvements incontrôlés. Sauf pour faire mal. Pour son premier clip, Anonyme B se focalise sur l’énergie désespérée dans laquelle il faut puiser pour ressentir, ne serait-ce que quelques secondes, la liberté d’être soi-même. Tenir tête aux phobies, aux assauts répétés de la conscience et de ses alertes sur nous. Jusqu’à la délivrance, juste après la chute et la honte. Anonyme B témoigne de ces cris inaudibles qui, souvent, sont les nôtres. De l’inquiétude et de ses remèdes hors d’atteinte. Mais, par-delà la folie sociale et le vertige, nous distinguons une échappatoire. Une place à prendre, même si elle demandera énormément d’efforts et de cicatrisations.


[Clip] Bleu Berline – Dans tes yeux

Des couleurs vives, des tons pastels aptes à transmettre le mélange dansant et intime de « Dans tes yeux ». Du manque de sommeil aux promenades en rollers vers des destinations inconnues, Bleu Berline nous raconte l’insouciance, la possibilité souvent refoulée de se laisser aller à ses envies. De savourer le moment, sans se poser de questions ni mettre à l’écart ses sentiments et désirs. « Dans tes yeux » nous transporte au centre d’une chorégraphie chaloupée, simple mais que nous voulons immédiatement apprendre et à laquelle nous exigeons de participer. La tendresse électro mâtinée de sonorités afro-cubaines de la chanson, la délicatesse de la voix nous poussent à franchir le cap. À notre tour, nous nous mettons en quête de ce moyen de locomotion prenant la poussière dans un coin de notre appartement, dans notre garage ou notre grenier. Nous rejoignons Bleu Berline et ses proches, puis plus rien n’existe. Seules, les minutes en sa compagnie. Précieuse, prévenantes, attachantes.


[Clip] Aube L – Adieu (Live Session 2023 @ Studio LDC Montreuil)

Notre histoire d’amour avec Aube L remonte à plusieurs années. Discrètement, nous l’avons regardée grandir, s’emparer de nouveaux styles et continuer son insatiable exploration de sonorités nouvelles, toujours à même de porter sa poésie et sa dévotion entière à son art. Celui-là même qui fait d’elle une incomparable poétesse contemporaine, ancrée dans son époque et demeurant prête, dès que l’envie devient oppressante, à s’exprimer haut et fort. L’intimité de cette live session n’en est que plus fervente : entre les murs du Studio LDC, les musiciens font montre d’une concentration, d’une polarisation terriblement émouvantes dans l’interprétation d’« Adieu ». La fuite nécessaire pour devenir, être. La recherche d’un regard jamais rendu et qu’il faut oublier, même s’il nous poursuivra pour l’éternité. Le chant se fait docile puis, peu à peu, laisse s’élever la fougue, le feu. « Adieu » sera aussi bien un testament de tendresse qu’un cri de colère. Une compréhension, une appréhension. Mais Aube L sait de quelle façon pétrir ses émois à fleur de peau. Elle agit en maîtresse des causes et des conséquences. Et l’éclatement émotionnel de son renoncement n’en est que plus profond et intense. Elle adopte sa route et sa solitude, mais également toutes les grandes espérances qui l’y attendent, patiemment. Et qu’elle mérite tant.


[EP] BEBLY – Coriace

Dans ses premières phrases, Coriace semble démontrer l’inverse de son titre. « Attendre Demain » est empli d’une profonde détresse, de questions sans réponses, d’un abandon existentiel sur le fil du rasoir. BEBLY ne cherchera jamais, tout au long de son nouvel opus, à fuir. Il se frottera aux aspérités existentielles, aux figures obligatoires dont il a choisi de demeurer à l’écart. Tantôt folk, tantôt rock, sa musique amplifie le sentiment de colère, de peur de sombrer dans l’oubli et de s’égarer soi-même. Cependant, Coriace tient, dans ses plus beaux retranchements, une personnification des oubliés et de celles et ceux qui, par choix ou simplement parce que cela leur a été imposé, se sont mis en retrait du monde tel qu’il est. Les guitares crient dans l’immensité du vide. La voix se pose avec autant de douleur que de nécessité. L’œuvre de BEBLY revêt cet important mérite de pointer du doigt les dysfonctionnements, les contradictions et leurs victimes collatérales. Et s’autorise, puisque cela est mal vu ou interdit, un espoir dont la subtile éloquence se mue en une sensation d’écoute et de libération. Le royaume des ombres, saturé par les âmes des laissés-pour-compte, prend vie. Et ne compte pas s’éterniser dans la prison bâtie injustement en son sein.


[Single] Joe Hoster – Mio

Rien ne sert d’amplifier la passion lorsque celle-ci est est intacte et pure. Rien ne sert de se fondre dans le costume de l’ébahissement, dans les atours d’un bonheur qui, s’il n’est pas réel, sonnera faux. « Mio » est le témoin d’une histoire d’amour comme il en existe peu de nos jours. La suite nuptiale d’accords et de mélodies minimalistes, tandis que le piano immortalise, avec tendresse, ce qui illumine la vie de Joe Hoster. Quelques harmonies nous rappelant la sagesse instrumentale de Max Richter, puis une sincérité à toute épreuve. Face au temps, aux regards et aux sentiments erronés, Joe Hoster préfère mille fois écrire une lettre destinée à l’éternité. Un message fusionnel et solaire.