[Groover Time #25] Om Shira, Gian Marco, Désespoir des singes, Black Angel, Peter Lake, Delayre, Dood project, Amerakin Overdose et Paul

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By Raphaël DUPREZ

[Clip] Om Shira – HEAL

La cérémonie commence par de douces incantations. Quelques arpèges de guitare et, surtout, la voix, guide spirituel du voyage sur le point de commencer. L’instant est solennel, intense. Tout se met en place, tandis que nos regards curieux puis fascinés s’attardent sur chaque détail de la mise en scène. Om Shira parvient, grâce à la lumineuse invocation qu’est « HEAL », à prendre sa place à nos côtés et ressentir, ensemble, la synergie. Le rythme se pose, l’ascension s’amorce. Le monde et le ciel s’ouvrent. Les figures se mettent volontairement à l’épreuve d’immenses espaces, extrayant l’essence de la Terre et de ses pouvoirs de guérison. Par l’intermédiaire d’Om Shira, nous sommes soignés de nos maux, de nos tortures, de nos faiblesses auparavant incurables. « HEAL » est une pause, un souffle, une respiration. Le vent régénérateur de bienfaits que nous imaginions à jamais perdus. Mais qui demeurent pourtant à portée de nos mains et de nos prières.


[Clip] Gian Marco – amidst

« amidst » doit être vécu comme une expérience sensorielle. Pour mieux apprécier le travail instrumental de Gian Marco, il est conseillé de se tenir debout, dans l’obscurité, sans autre source de lumière que celle de la musique. Perdre les repères habituels afin d’ouvrir ceux, plus passifs mais vitaux, que sont le toucher et l’audition. La profondeur du piano, liée à une sensation de flottement et de solitude dans les tréfonds de l’océan, se conjuguent et nous lancent un appel puissant et revigorant. « amidst » est une véritable régénération : celle de Gian Marco lui-même, tout d’abord ; mais également la nôtre, lors de ces trois minutes d’immersion où pensées et émotions se bouleversent puis, rapidement, se parent d’une rare limpidité.


[Single] Désespoir des singes – Shadows

Le folk est dépouillé, presque tendu. Sous son apparente douceur se dissimule une urgence, un besoin vital de laisser la voix s’enflammer, porter aux nues ce que l’instrument essaie de dire. La complémentarité des deux grandit mais ne permet à aucun moment de prédire l’aventure qui s’ensuit. « Shadows » augmente, cherche les sommets de l’émotion, les points culminants salvateurs de sa naissance. Désespoir des singes laisse évoluer son art au fil d’indices qu’il se plaît lui-même à retrouver, disséminés dans un monde menacé de nuages gris et de brèves lueurs solaires. Jusqu’à l’apothéose, le rayon projetant les ombres de vestiges prenant forme et vie dans notre imagination. Une promesse qui, d’écoute en écoute, nous émeut toujours plus et se laisse apprivoiser, doucement, lentement.


[EP] Black Angel – We’ll Kick Your Ass!

Au milieu de productions ultra-léchées et parfois trop chargées, il est très souvent salvateur de se laisser surprendre par un disque réalisé avec les moyens du bord mais, surtout, une envie insatiable d’en découdre et de s’exprimer haut et fort. Le bien nommé We’ll Kick You Ass! est là pour ça, et les amateurs de metal old school vont forcément y trouver leur compte. Mais Black Angel ne s’arrête pourtant pas là, exploitant ses manques de deniers pour approfondir son écriture et les variations de titres sentant le soufre et la sueur. Ce qui est en ressort est un creuset de moments d’anthologie et d’une volonté croissante de fouiller toujours plus profondément dans les décombres de friches musicales désertées depuis longtemps. Le genre de bouffée d’oxygène vicié qui, une fois que l’on se prend au jeu, démontre une dévotion totale à une cause juste et ô combien réconfortante, malgré quelques bleus et courbatures à force de sauter et headbanger dans tous les sens.


[Single] Peter Lake – Colors of Suspension

La vocation d’apporter son aide aux êtres en besoin se fait malheureusement de plus en plus rare. Dans le monde égocentrique où nous vivons, où écraser autrui est synonyme de réussite sociale, familiale et professionnelle, l’accompagnement disparaît. Si vous êtes faible, vous n’êtes rien – ou, pire, un fardeau. Peter Lake s’est trouvé confronté à cette situation, devant un jeune garçon en demande et que l’autorité avait décidé de rejeter. « Colors of Suspension » nous raconte cette histoire de l’ordinaire se transformant en extraordinaire. Le dialogue vocal, magnifié par la mélancolie dansante de l’instrumentation, nous offre une place auprès de deux êtres ayant traversé les mêmes épreuves. Quand tout semble s’acharner contre vous, quand rien ne fonctionne afin de vous mener vers les sommets, il reste des amis, des confidents, pour vous relever. Peter Lake est de ceux-là, et sa chanson revêt ainsi une dimension universelle sur laquelle beaucoup devraient enfin méditer.


[Clip] Delayre – Torrents

Au fil des confessions de « Torrents », les mots de Delayre le font ressembler à une créature sur laquelle le temps et l’espace n’ont aucune emprise. Tour à tour prophète et témoin de l’Histoire, l’artiste dessine les décors et scènes d’apocalypse et de mouvements de révolte de la nature, d’effets néfastes de l’homme sur la planète qu’il exploite jusqu’à l’usure. La mécanique implacable de l’instrumentation de « Torrents » amplifie ce paradoxe entre l’être et son environnement, entre la volonté et la réalité. Delayre engendre autant de prises de conscience que de connaissances, en faisant preuve d’une maturité à toute épreuve. Celui qui a vécu mille vies et dont les mues successives lui ont ouvert l’esprit et les yeux a enfin décidé qu’il était temps de communiquer, avant qu’il ne soit trop tard. Né d’un ailleurs où même l’impossible se fait raisonnable et sensé, Delayre bouleverse nos quotidiens et dilate nos pupilles, afin d’affronter tout ce qui doit être accompli.


[Single] Dood project – Orion

« Orion » est une explosion électro-acoustique de haut vol. D’abord introduit par des cordes proches de la rupture et de la frénésie, la composition évanescente de Dood project prend un envol inattendu grâce à l’introduction d’une rythmique en cavale, d’une fuite désespérée dans l’espace afin d’atteindre notre destination. Voyage interstellaire pour lequel aucune étape n’est autorisée, « Orion » amplifie constamment la révolution sonore classique/électronique, parsemant ses folies instrumentales de mille et un fourmillements. La ligne de basse, imparable, apporte une fondation solide, un moteur inextinguible à la dévotion totale du musicien. Au cœur de ses harmonies, ce tour de force recèle une mélancolie sous-jacente qui, au lieu de se retrouver au second plan, amène définitivement « Orion » vers l’excellence et le plaisir inépuisable de l’auditeur. Un coup de maître.


[Clip] Amerakin Overdose – Neurostatic

Amis lassés du néo-metal et de ses nombreuses ramifications, bienvenue dans la salle d’opération d’Amerakin Overdose ! « Neurostatic » préfère, par sa musique, ne pas s’encombrer d’influences inutiles ou de courants aptes à les amener sur les scènes mortifères de stades désincarnés. Mais ce n’est pas pour autant que le titre, et le clip tétanisant qui l’accompagne, n’ont pas leur mot à dire. C’est même le contraire, tant le travail accompli est aussi immédiat que transperçant. Riffs et mélodies s’enchaînent sans répit, tandis que la section rythmique amplifie la production et l’expressivité de chacun des interprètes. Quant à la voix, elle s’adapte aux plans successifs d’un spectacle où l’expérimentation et le cérémonial se rencontrent, pour une épreuve sensorielle et physique éprouvante mais tellement exaltante. En quatre minutes, Amerakin Overdose redéfinit l’œuvre d’art globale du metal, sa fonction et son impact sur l’humain.


[Clip] Paul – Des Visages

La vie par reels interposés. Les convictions malmenées, jugées, outragées. Tout, dans « Des Visages », s’oppose à ces affirmations pixellisées du passif héros contemporain. Les déclamations furtives et hautement efficaces de Paul tourmentent les âmes sous influence, provoquent le dégoût puis une implacable réaction. Tout va trop vite, à l’image ; mais cette effervescence est rapidement apaisée par le flow du musicien, par la composition qui l’accompagne. Puis, à l’envers, changeant de point de vue, « Des Visages » projette un mouvement nouveau, une impulsion venue de nulle part. De la nostalgie du texte et du verbe à la modernité en danger de l’individu, Paul s’impose rapidement comme une figure à suivre, au sens artistique et humaniste du terme.