[News #7] Gatha, Lindsey Was A Man, Lucy Kruger & The Lost Boys, Kety Fusco, Strawberry Seas et MIIL

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By Raphaël DUPREZ

crédit photo Kety Fusco : Roger Weiss

[Clip] Gatha – Indomptable

Au fur et à mesure de son apprentissage musical et vital, Gatha a su tourner les pages inédites d’une histoire n’appartenant qu’à elle. Imprévisible, visant l’audace plutôt que la banalité d’un classicisme bien trop restrictif, elle a appris à dompter les genres, les moyens d’expression les plus à même de la mener dans la direction qu’elle seule avait choisie, et que nous n’aurions pu prévoir à aucun moment. Dans ce contexte, « Indomptable » marque l’étape cruciale de cette naissance, d’une liberté accrue et infinie dès qu’il s’agit de faire trembler les bases incertaines d’un futur qui l’est tout autant. Instrumentalement et mélodiquement complexe et travaillé, le titre se repose ici sur un clip animal et mordant, véritable démonstration de la force nouvelle et affirmée d’une créatrice sachant autant célébrer son émancipation que la faire rayonner tout autour d’elle. Reine de ses propres contrées, ne sombrant jamais dans la démesure ou l’égocentrisme, elle utilise le regard, la mise en scène et la musique à des fins thérapeutiques et instructives pour le commun des mortels qui, ainsi fidélisé à son autorité naturelle, voit ses propres convictions bouleversées devant une si poignante et puissante délivrance. Gatha poursuit ses rêves sans omettre de les inscrire sur les tables d’argile d’une réalité enfin à portée de main, grâce à sa bienveillante et insatiable avidité.


[EP] Lindsey Was A Man – Daily Drama

Quasiment une année nous sépare de la sortie de Daily Drama ; pourtant, le choc ressenti à la découverte récente de ce disque foisonnant et inspiré de mille et une idées demeure intact, comme si les jours et les mois n’avaient aucun impact sur sa modernité et son sens inné de l’imaginaire insufflé à l’auditeur. Trois titres caressant les faiblesses et doutes de l’âme humaine en provoquant, au fur et à mesure de leurs progressions respectives, un état de surprise puis de fascination dès que l’on se projette au cœur de ses multiples identités. Lindsey Was A Man donne naissance à une œuvre emplie de noirceur et de flashes rassurants, une plongée d’abord douce puis oppressante vers les forces mystérieuses des natures humaines et terrestres. De marches en songes, de vagues en révélations ésotériques, la poésie de cet incroyable opus lui permet de métamorphoser chaque impression, chaque ressenti en textures palpables, en velours délicats ou en épines venimeuses. Un charme obsédant que chacun se doit d’éprouver dans l’intimité obscure d’un lieu familier et désert, afin d’en goûter les inépuisables saveurs, sèves sucrées et infusions amères.

Daily Drama de Lindsey Was A Man, disponible depuis le 27 juin 2021.


[Clip] Lucy Kruger & The Lost Boys – Risk

L’âpreté du néant. Le nihilisme intense de l’absence totale de confiance en soi, de la cohérence innée d’une indéfectible malédiction menant inexorablement à la solitude. « Risk » est une chape de plomb, le réceptacle visuel et musical d’une chaleur diabolique. Le trait, lui, demeure constamment ténu, comme prêt à se rompre au fil de la découverte de Lucy Kruger & The Lost Boys. Le désert est oppressant ; la menace, constante. Une histoire à la fois contemplative et cruelle de l’inhibition, du difficile apprentissage de ce qui peut être découvert au-delà de tout horizon. Ouvrir les yeux, quitte à les consumer sous les rayons d’un astre implacable. Faire face aux prédateurs, qu’ils soient dans et hors de nous-mêmes. Dans les méandres d’un rock décharné et démoniaque, le laisser-aller se fait synonyme de libération et de danger, d’abandon et de réconciliation avec l’obscurité. Par un effet miroir amplifié sous les traits de créatures fascinantes et effrayantes, « Risk » se jette dans le vide sensoriel du néant ; non pas pour y consolider ses immuables croyances en une impossibilité de partager mais, au contraire, dans le but de deviner, l’espace de quelques dixièmes de secondes, qu’il existe peut-être un autre monde, bon ou mauvais. La tentation est trop forte ; la marque brûlante de ce titre hors norme, quant à elle, consumera nos chairs pour l’éternité.


[Single] Kety Fusco – SHIVERS

De tensions électriques en mélodies organiques, les expérimentations musicales de Kety Fusco ne cessent de nous laisser sans voix. Et pour cause : armée de sa harpe, la musicienne explore les exceptionnelles capacités d’un instrument trop souvent mis en retrait, tandis que ce dernier peut au contraire rapidement devenir la source d’atmosphères inédites et impossibles à exprimer à travers n’importe quelle autre source acoustique. Les effets de « SHIVERS » sont dévoilés au fur et à mesure d’une progression sonore limpide et hypnotique, posant peu à peu les fondations de notes légères et liquides. C’est ce paradoxe entre pesanteur et majesté qui, durant les quatre minutes de ce nouveau chapitre, emporte l’auditeur vers des tableaux spirituels surréalistes et profonds, dont les reliefs s’étendent alors à l’infini. Des frémissements épidermiques dont les effets sont incessants, répandant leurs frissons dans notre organisme et le long de nos muscles tremblants de mystérieux plaisirs. « SHIVERS » grandit puis se transmet d’une cellule à l’autre, de son origine humaine à ses perceptions universelles.


[LP] Strawberry Seas – Sea Diver

D’une nonchalance sans égale et sentant bon les moments de plénitude estivale, Sea Diver prend d’ores et déjà de l’avance sur les repos bien mérités des bourreaux de travail attendant impatiemment que sonne l’heure de vacances. En un peu moins de quarante minutes, Strawberry Seas accomplit le miracle d’une conjugaison du farniente et de l’intelligence harmonique, chaque plage de cet opus ensoleillé entraînant l’auditeur sur les lieux les plus paisibles et reposants d’une terre pourtant surpeuplée. Un paradis sonore dont les rares vertus sont immédiatement reconnaissables et communicatives, sans pour autant oublier de soigner les détails de pistes colorées et aux innombrables effets secondaires. Parvenir à se détacher de Sea Diver devient alors un réel défi, le monument de bien-être et de fluidité qu’il érige ne cessant de charrier ses brises rafraîchissantes et ses paysages aux mille pouvoirs imaginaires. Sous ses atours de bande-son idéale pour les semaines à venir, le disque nous fait tourner la tête et nous immerge dans des bienfaits beaucoup trop rares, car emplis d’une multitude de détails mélodiques patiemment pensés, relus et corrigés. Le résultat demeure une merveille de générosité, de tendresse et d’hallucinations réconfortantes et ô combien bienvenues.

Sea Diver de Strawberry Seas, disponible depuis le 1er juin 2022.


[Clip] MIIL – These Words

Des écrits testamentaires. Des poèmes éternels. Des invocations chamaniques aptes à faire naître une identité, un repère dans l’obscurité existentielle d’âmes perdues. Le noir et blanc de « These Words », splendide et sobre exposition de l’être devant son devenir et au sein de son environnement, s’accorde des moments suspendus, des silences, des passages à vide. Lorsque le chant, posé et sensible, récite les définitions de la vie et les termes de souvenirs à fleur de peau, de rêves et de visions dont on ne peut jamais réellement se remettre, MIIL redéfinit la notion même d’expression littéraire et artistique, que ce soit par le biais d’une instrumentation dont les montées progressives amplifient l’écho syntaxique ou grâce à des secondes picturales d’une beauté parfois sombre, souvent fascinante et merveilleuse. Dès lors, l’accélération sensorielle et cardiaque que nous offre « These Words » prend une ampleur d’autant plus marquante qu’elle s’inscrit à la perfection dans le besoin incessant de ne pas demeurer prisonniers de l’interrogation mélancolique ou de la dépression. Au contraire : si l’histoire contient en elle des jours précis et condamnés à l’immobilité du passé, le conte vivant et naturaliste de MIIL se tourne définitivement vers un futur orné de formes spirituelles et de vagues instrumentales et vocales emplies de dons que l’on ne peut cesser de désirer tant et plus.