[Groover Time #3] Baïnem, Brett Gleason, LOMNOUVO, Le Père Noël, Pisazz et West Wickhams

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By Raphaël DUPREZ

[Clip] Baïnem – Ton image

L’étrange rapport de l’humain à l’écran. Ce gouffre infini dans lequel nous aimons plonger sans réfléchir, nous laisser happer comme des victimes consentantes face à la multiplicité des apparences. « Ton image » offre un miroir sans tain de ce à quoi nous ressemblons dans ces moments. Par la poésie de son texte et la discrétion épidermique de ses arrangements, Baïnem explore les pixels, les prismes, les regards qui n’en sont jamais vraiment. Elle déroule, de façon tant sensuelle que captivante, les habitudes, les réveils durant lesquels nous cherchons, avant toute chose, le précieux Sésame qui nous confrontera à la version trouble de notre réalité. Il suffit d’une capture, d’un plan, pour que regards et sourires se perdent dans l’immensité des nuages virtuels. De la parole au chant, Baïnem dessine le cadre sans filtre inutile de son évasion et de ses rencontres, de la magie rêveuse et innocente des faux-semblants, de tous ces idéaux programmés pour plaire et désirer. Le clip est magique et sulfureux, balançant constamment entre la lumière d’une vérité encore tue et l’ombre cernant son héroïne afin de gommer les possibles imperfections. « Ton image » s’imprime sur nos rétines, à l’infini.


[Single] Brett Gleason – A Sign

« A Sign », mouvement langoureux de rock old school et d’un blues écorché vif, s’empare de nous dès l’apparition d’un riff prêt à être exploré dans ses moindres recoins. En quatre minutes charriant autant de beauté que de mystère et d’âpreté, Brett Gleason écrit la première et magnifique page d’un ouvrage musical, Prophesy, attendu pour le 3 février prochain. Et dire que ce vibrant extrait nous donne l’eau à la bouche n’est qu’un doux euphémisme ; en effet, « A Sign » ne semble jamais se répéter, cherche par tous les moyens à nous égarer dans les genres qu’il façonne à sa manière, sans exiger de mouvements créatifs imposés ou de figures insurmontables et bien trop classiques. Rien n’est une évidence pour Brett Gleason : à l’image de glorieux aînés tels que East River Pipe, le songwriter ne se soucie pas de ressembler à qui que ce soit ou de perdre son don dans des exercices futiles. C’est tout le contraire : le single est un petit chef-d’œuvre de confidentialité et de sensualité, de désir et d’espérance, chuchoté au creux de nos oreilles. Prenant le contrepied parfait de ce que l’on serait en droit d’attendre de lui, il s’aventure aux frontières de ses propres inspirations et canalise les sources acides de ce qui se dissimule au-delà de sa zone de confort folk et pop. Le résultat est une merveille douce et empoisonnée, dont les effets se prolongent longtemps après sa découverte.


[Clip] LOMNOUVO – La terre des Hommes

Le miracle de « La terre des Hommes » se découvre dans sa capacité à confronter l’individu à son Histoire, ses découvertes, ses révolutions. Dans une chorégraphie chamanique et implorante, nimbée de la lueur régénératrice du soleil, LOMNOUVO prie les cieux, observe l’humanité et ses mouvements perpétuels, ses progrès, ses regrets. Le rock est à la fois souple et écorché, vif et caressant. L’atmosphère se fait tantôt lourde et apte à accueillir l’orage et le déluge, tantôt vibrante de mille et une énergies terrestres. Le titre est un hymne aux aventuriers oubliés, à leurs familles, à leurs peurs vaincues. Tant et si bien que, lorsque les éléments se conjuguent, ils convergent directement vers notre propre vécu, le remettant à l’échelle planétaire. Nous devenons les cellules d’un même monde, les pages froissées d’un livre du temps qui, on le sait déjà, nous survivra. « La terre des Hommes » déclame ces contes et légendes du réel de chacun, ces folies éphémères ayant modifié la face du lieu céleste sur lequel nous ne faisons que passer. Mais qui, le long de nos pas, accroche dans ses limons les cicatrices de notre éternelle présence.


[Clip] Le Père Noël – Retour de Madrid

Laissez de côté toutes vos croyances et, surtout, éloignez les enfants. Car, malgré ce qu’annonce son nom, Le Père Noël n’est plus ce vieil homme barbu qui, chaque année, berce les espoirs de nos chères têtes blondes attendant patiemment son arrivée depuis le pôle nord. Ici, notre Santa vient d’ailleurs, transportant derrière lui les commandes préprogrammées et calibrées de présents achetés sur la Toile et véhiculés sans aucun respect d’un quelconque bilan carbone. Du moins, c’est ce que nous présente le clip de « Retour de Madrid », danse lente et obsédante d’un voyage céleste dont les couleurs nous éblouissent et se mêlent aux mystères de la voix et de la musique. Dès lors, le titre se fond dans une atmosphère sans âge, aussi bien baignée de pulsations 80’s que de délicatesses synthétiques plus modernes et minimalistes. Le périple est doux, posé, ancré dans un plan-séquence informatique où guirlandes LED et éoliennes s’auto-alimentent, tandis que le maître de cérémonie propulse son ouvrage dans les cieux nocturnes d’une ville que l’on devine au loin, tumultueuse, aveuglante, assourdissante. Au final, ce Père Noël se révèle bien plus passionnant que son illustre modèle ; et, plus que tout, réinjecte la part de mystère et d’innocence qui commençaient à cruellement lui manquer.


[LP] Pisazz – Me and John

D’abord, il y a la sensation constante d’assister, par disque interposé, à une impro totale entre musiciens, un échange privilégié et baigné d’ambiances instrumentales diverses et évolutives. Puis, lorsque l’on se concentre davantage, on perçoit les langages distincts, leurs questions et réponses, leurs importances respectives dans la cohérence de Me and John. L’opus de Pisazz n’a cependant rien d’une démonstration de force ou d’une quelconque exhibition de talents et prouesses techniques sans aucune âme. C’est là toute la force de cette œuvre dont la progression nous maintient constamment en haleine : allier les instants précieux d’une liberté harmonique retrouvée et l’intimité d’une salle où, sur scène, tout peut arriver. Les joutes perpétuelles entre guitare et rythmique nous immergent dans l’univers bien particulier d’un projet parfois à la limite de l’acrobatie et du vertige, mais parvenant toujours à retrouver son équilibre et la force inhérente à ses mélodies douces et versatiles. Me and John transpire d’une générosité sans égale, brillant de mille éclats sonores que l’on n’avait plus savourés depuis de trop nombreuses années.


[EP] West Wickhams – Magenta

Parfois, sans prévenir, la nostalgie se présente à vous et, immédiatement, vous replonge dans les délices obscurs de temporalités rock antédiluviennes. À l’écoute de Magenta, certains évoqueront les grandes heures de la cold wave ; d’autres, le retour en grâce de ténèbres musicales qui, quelles que soient les années, parviennent toujours à leurs fins. West Wickhams nous offre un disque dont les couleurs ornant la pochette sont souvent difficiles à déceler au fil des cinq chapitres qui le composent. Et pour cause : l’ensemble s’amuse à nous égarer en cours de route, à bouleverser nos idées préalablement reçues d’une piste noire à l’autre. Ce qui transforme l’EP en un monolithe sonore qui, en plus de nous fasciner, nous attire et nous absorbe sans nous demander notre avis, pour notre plus grand plaisir ceci dit. De l’émerveillement à l’introspection, de rythmes de guitares ivres à des vocaux crépusculaires, Magenta s’ouvre les veines devant son public et saigne abondamment, spectacle ruisselant et paralysant. Un disque rare et admirablement bien écrit, ce qui le distingue du copier/coller lambda que l’on a trop souvent tendance à se voir offrir en tant qu’hommage aux morts tombés au combat il y a maintenant quarante ans.